Bonjour,
Je suis tombé sur un article américain d'un site d'informations militaires au contenu peu courant.
Un bimoteur léger Diamond DA42 du FSB, l'ex KGB, a été vu sur la base russe près de la ville de Lattaquié en Syrie... je ne savais même pas que les russes exploitaient (et construisaient sous licence) une version militaire du DA42 !
La raison de sa présence là-bas fait couler beaucoup d'encre.
Je vous l'ai traduit avant qu'elle ne sèche!
Bonne lecture,
Philippe




Que fait un avion léger Diamond DA42 russe sur une base aérienne en Syrie ?
Par Thomas Newdick, The War Zone, 4 mars 2021

Deux exemplaires de cet avion de conception autrichienne occupent une place très particulière dans le vaste inventaire des avions militaires de la Russie.



Un Diamond DA42. © Diamond Aircraft Co.


Une image satellite toute récente de la base aérienne de Hmeimim, à Lattaquié en Syrie, qui a été récemment fortement agrandie et qui est le principal centre d'activité de l'aviation militaire russe dans ce pays, montre un visiteur inhabituel : un bimoteur léger Diamond DA42 de conception autrichienne. En plus d'être un avion très populaire pour beaucoup d’utilisateurs privés, il est également proposé en une version militaire de surveillance. L’opérateur russe qui l’utilise à Hmeimim est presque certainement le Service fédéral russe de sécurité, plus connu par son abréviation : le FSB, qui en a commandé 2 en mai 2016. La façon dont cette organisation russe s'est retrouvée équipée de cet avion est plutôt inhabituelle.

Bien que ce soit peu connu, le DA42 est également utilisé en Russie depuis un certain temps, bien qu'on pense ne l’avoir jamais vu en Syrie auparavant. La photo satellite, datée du 26 février de cette année, a été portée à notre attention par un certain Samir, sur son compte Twitter (@obretix). La photo montre bien les classiques avions de combat des forces aérospatiales russes déployés en Syrie, avec l’avion d'attaque Su-24 Fencer, des Su-34 Fullback ainsi que des chasseurs multirôle Su-35 Flanker. Une paire d'avions de combat MiG-29SMT Fulcrum est également visible, ceux-ci étant de retour en Syrie après une absence d'environ trois ans. Les moyens de soutien sont également disposés autour du tarmac, avec des An-72 Coaler et des Tu-154 Careless pour le transport du personnel à l'intérieur du pays et vers et depuis la Russie. Et, enfin, il y a aussi ce DA42, stationné seul dans un coin par ailleurs vide de l’aéroport.

Le DA42 est propulsé par deux moteurs diesel AE300 de la société Austro Engine Gmbh, ces moteurs peuvent également fonctionner avec du jet fuel standard. L'avion est équipé d'un écran multifonction Garmin G1000 équipé du système Garmin SVT Synthetic Vision Technology qui reproduit en temps réel sur l’écran la topographie du terrain survolé. Il peut effectuer des missions d'une durée maximale de 12 heures, avec un seul pilote aux commandes. Économique à exploiter, le Diamond DA42 est devenu très populaire parmi les pilotes privés, les aéroclubs et les écoles de pilotage du monde entier.



Vue aérienne de la partie nord de l’aéroport militaire de Hmeymim à Lattaquié, Syrie. "Un Diamond DA42T à Hmeymim ? Un bien étrange visiteur de la base aérienne russe de Lattaquié le 26 février 2021, en plus des appareils militaires russes habituels." -  Samir @obretix, 28 février 2021 © Samir @obretix  pic.twitter.com/axRHqFYN60


Le Diamond DA42M-NG  "421 Noir", l’un des deux DA42 équipant le FSB. on voit bien ses capteurs électro-optiques. © TopWar.ru


Alors que la plupart des DA42 russes sont utilisés par l’armée de l’air qui en acquis 35 comme avion d'entraînement, les deux avions de surveillance DA42M-NG exploités par le FSB, le successeur du KGB de l'époque soviétique, sont plus confidentiels.

La volonté du gouvernement russe de s’équiper de cette version de surveillance électronique du DA42 a été révélé pour la première fois sur le site web Zakupki, l'Institut russe des marchés publics, en 2016. Pour un coût d’un peu moins de 800 millions de roubles, soit environ 10 millions de dollars, les deux avions devaient être livrés en mai 2016 à une base aérienne dans la province kraï de Stavropolski dans le Nord-Caucase, ce qui les mettait à portée des régions troublées de Tchétchénie et du Daghestan. Les deux Diamond DA42M-NG ont été assemblés en Russie, comme les 35 appareils destinés à l’armée de l’air russe, chez le constructeur russe Uzga OAO basé à Ekaterinbourg dans l'Oural.

Ces deux appareils du FSB semblent être une version similaire au DA42 MPP "Guardian", qui équipent notamment la RAF, des Diamond destinés et équipés pour des missions de surveillance des frontières notamment, pour la reconnaissance et les relevés aériens. Le "Guardian" est doté de baies de charge utile modulaires pour diverses caméras électro-optiques et infrarouges, des radars de surveillance, des ensembles de communication et d'autres systèmes. Une liaison de données par satellite lui permet de partager toutes ces informations avec le sol.



Un DA42 MPP "Guardian" exposé au salon international de l'aéronautique MAKS de Moscou en 2013, avec une caméra de surveillance peinte en noir à l’avant de l’avion. © Vitaly V. Kuzmin


Un autre DA42 MPP "Guardian" exposé au salon international de l'aéronautique MAKS de Moscou en 2007, avec une caméra de surveillance plus visible sur ce cliché, peinte en gris mat cette fois. © Yuriy Lapitskiy


L’équipement de la version russe du DA42 a apparemment été développée par RTI Aerospace Systems (RTI AKS), l’un des plus grandes entreprises militaires privées de Russie, et, outre l'équipement de surveillance optique et électronique, il comprend un équipement de communications à large bande et par satellite pour transmettre des images en temps quasi réel aux stations au sol. Les deux DA42 du FSB  présentent des configurations de capteurs différentes, l'un des deux a été manifestement optimisé pour la surveillance électro-optique, en utilisant une tourelle infrarouge à vision frontale (FLIR) sous le nez. L'autre avion est équipé du système radar BLRK qui comprend une antenne dans une nacelle semi-encastrée sous le fuselage et un nez plus allongé.

Il existe plusieurs possibilités quant à la réelle utilisation de ces deux avions par le FSB. Mais tout d'abord, il est intéressant d'examiner de plus près la flotte d'avions peu connue du FSB, qui est importante en soi. Le FSB, qui compte environ 230 000 personnes, dispose d'une flotte d'une soixantaine d'avions et d'environ 130 hélicoptères. Le type d'avion le plus utilisé par le FSB est l’An-26, ainsi que l’An-72 et toute une série d'autres types de transport et quelques avions d'entraînement en plus petit nombre. Un atout inhabituel du FSB est leur avion garde-frontière An-72P Coaler, un avion paramilitaire spécialisé qui peut être armé de canons et de fusées.



Un Antonov An-26 Curl de transport appartenant au FSB photographié récemment sur une base aérienne des îles Kouriles. © Igor Dvurekov


Un Antonov An-72P garde-frontière du FSB. © OSDU Planepictures.net


Le principal type d'hélicoptère utilisé par le FSB est l'omniprésent Mi-8 Hip, mais il y a aussi quelques Mi-26 Halos de transport lourd, environ 10 Mi-24 et Mi-35M Hind d'assaut, ainsi que des appareils utilitaires plus petits. Des drones et des ballons de surveillance sont également utilisés.

En tant que principale agence de sécurité, le FSB utilise ses avions pour la sécurité intérieure et frontalière, ainsi que pour le transport d'unités de contre-espionnage et de lutte contre le terrorisme. Par exemple, une unité aérienne du FSB basée à Vnoukovo, près de Moscou, est spécifiquement chargée du déploiement rapide aérien des deux unités russes de spetsnaz Vympel et Alpha, spécialisées dans la contre-insurrection et les assauts aéroportés. Si les fonctions de garde-frontières ne dépendaient pas à l’origine du FSB, elles sont depuis 2003 dans les attributions du FSB.

Quant à savoir à quoi sert le DA42M-NG du FSB, on sait que cet appareil est particulièrement adapté à des missions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance dans des situations nécessitant un profil bas de présence sur un temps de vol le plus long possible. Non seulement le DA42 offre de très faibles émissions sonores et une signature infrarouge très limitée, mais l'apparence de l'avion lui-même, un monomoteur de tourisme, est également suffisamment anonyme lorsqu'il opère à partir d'aéroports civils, par exemple, ce qui pourrait être le cas lors d'événements très médiatisés ou d'actions de maintien de l'ordre disons ... particulières.

Le FSB, qui est chargé de protéger les frontières du plus grand pays du monde, exploite régulièrement ses avions à partir d'endroits éloignés et à l'environnement hostile. Le DA42 est un bon choix dans ce domaine également, avec des exigences de maintenance simples et sa forte capacité à voler par tout temps.

D'autre part, le fait que la flotte des DA42M-NG du FSB est, pour le moment, limitée à deux avions suggère que ces appareils pourraient servir à des missions de mise au point, en testant par exemple de nouvelles capacités de surveillance et de communication par satellite cette fois. Cela serait également logique compte tenu des deux configurations optoélectroniques spécifiques qui ont été identifiées sur ces appareils.

Il y a eu également des rapports dans le passé sur le développement par la Russie d'une version sans pilote du DA42, et le site internet hollandais "Scramble" affirme que le DA42M-NG du FSB situé à Lattaquié servirait en fait de démonstrateur de ce concept de drone ultra-performant, pour prouver la faisabilité de ce concept et le faire évoluer selon les nécessités rencontrées sur le terrain.

D'autres drones de l’armée russe pourraient également bénéficier de ces recherches, l'armée russe étant en train d'introduire un certain nombre de nouveaux types de drones, allant des drones de combat à réaction au modèle Orion, un drone semblable au Predator, et à l'Altius-U optimisé pour l'ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance). L'Altius-U est un drone ... bimoteur (comme le DA42) à moteur diesel (comme le DA42), et son constructeur est  ... la société de l’Oural Uzga OAO à Ekaterinbourg qui construit sous licence les Diamond DA42 pour les forces armées russes. L’Altius-U est destiné à effectuer des missions de renseignement avec comme charge utile un équipement de pointe électro-optique et radar pour des vols de longue durée ... comme le DA42.

Pendant ce temps, des photos montrant un DA42B  non piloté - ou plus probablement avec un pilote à bord  mais l’avion étant piloté à distance- ont circulé en 2018, dont une image intrigante montrant le DA42 armé de quatre missiles antichars radioguidés de type 9М120 Ataka sous son fuselage. Cette photo aurait été publiée par le journal gouvernemental russe Rossiyskaya Gazeta, puis retirée. La société Uzga nie officiellement avoir ainsi armé un DA42.
Il n'est pas certain que l'image de l'avion armé montrait un DA42 sans pilote, voire un DA42 avec pilote en option. Ce qui est clair, c'est que l'armement du DA42 russe a été sérieusement envisagé dans le passé. Il est donc possible que le déploiement syrien ait également impliqué une sorte d'essai combiné de surveillance optoélectronique de pointe et tirs d'armes à partir d’une seule et même plateforme volante.

Que le DA42M-NG soit utilisé pour tester des systèmes et des tactiques pour lui-même ou pour un futur drone, son déploiement en Syrie serait une évolution logique. Après tout, la Russie a procédé à des essais limités d'autres nouveaux avions pilotés et non pilotés dans le cadre du conflit dans ce pays, notamment le chasseur Su-57 Felon de nouvelle génération, ainsi qu'à des essais d'armes avec le drone Orion. D'autres armes russes ont également été testées en Syrie, notamment des véhicules de combat au sol. Le DA42M-NG n'est adapté qu'aux opérations dans un espace aérien non contesté, mais il pourrait être avantageusement utilisé pour patrouiller un territoire tenu, comme l’est celui de la province de Lattaquié où se trouve la base aérienne de Hmeimim.



Une batterie de quatre missiles 9M120 Ataka sous un DA42 dans l’un des hangars de la société Uzga OAO à Ekaterinbourg. © Ivan O'Gilvi


M. Vadim Badekha (le deuxième au 1er rang à gauche), directeur général d’Uzga, fait visiter l’usine d’Ekaterinbourg à M. Iouri Borrisov (en tenue militaire au centre), alors ministre de al défense de la fédération de Russie en décembre 2017. © Ministère de la Défense de la fédération de Russie


La base aérienne de Khmeimim a déjà été attaquée dans le passé, avec un certain nombre d'attaques de drones fin 2017 et début 2018, ainsi que d'autres types de comportements agressifs. Les capacités du DA42M-NG pourraient également être idéales pour surveiller les zones autour de la base afin d'empêcher l'infiltration de rebelles armés ou pour contrer la pénétration de l’espace aérien de la base par des drones armés. La Russie n'ayant pas de drone de surveillance de la même classe que le Predator ou le Reaper américains, une variante habitée du DA42 pourrait être très utile pour combler au plus vite les lacunes actuelles. S'il n'est pas piloté, ou si les Russes estiment que le risque en vaut la peine, ce type de drone pourrait s'aventurer dans des zones plus "chaudes" afin de fournir des capacités de surveillance et de collecte de renseignements critiques pour les opérations militaires.



Vue satellite en décembre 2020 de la base aérienne d’Hmeimim. © PlanetLabs


L'histoire de l'exploitation du DA42 par la Russie remonte aux alentours de 2010, lorsque le ministère russe de la défense l'avait sélectionné comme nouveau bimoteur d'entraînement. Aujourd’hui, les DA42 de l’armée de l’air russe servent à former les pilotes militaires destinés à piloter des avions de transport. Le DA42NG a été choisi comme base pour un nouveau modèle qui sera construit sous licence par la société Uzga sous le nom de DA42T.

Il semblerait que l'UZGA ait reçu le premier contrat du ministère russe de la défense pour le DA42T en 2013. Le contrat n'a été rendu public qu'en décembre 2017, lorsque, lors d'une visite à l'usine d'UZGA, Iouri Borisov, alors ministre russe de la défense, a annoncé une commande de 35 DA42T pour l’armée de l’air russe

Alors que ces DA42T ont été commandés par le ministère russe de la défense, les premières livraisons ont été effectuées non pas à l’armée mais à l'Université d'État de l'aviation civile de Saint-Pétersbourg, située à l'aéroport de Pulkovo. Le website néerlandais Scramble indique qu’ensuite les autres DA42T qui sortaient de la ligne d’assemblage d’Ekaterinbourg étaient livrés à l'école de pilotage de l'armée de l’air sur la base aérienne de Balashov, qui est spécialisée dans la formation au pilotage des biturbopropulseurs Antonov An-26 Curl.

Comme l'accord initial pour la production sous licence du Diamond DA42 entre l’Autriche, et donc l’Union Européenne, et la Fédération Russe a été conclu avant le 1er août 2014, cet accord a évité l'embargo sur les armes imposé par l'Union européenne à la Russie suite à l'implication de Moscou dans le conflit en Ukraine et l’invasion de la Crimée en 2014.

D'autre part, la décision d'attribuer au moins une partie de ces avions d'entraînement à une organisation non militaire signifie qu'ils auraient pu être exemptés de toute façon : les sanctions interdisent spécifiquement la fourniture d'armes et de services à usage militaire ou pour des utilisateurs finaux militaires en Russie.

La formation préliminaire des futurs pilotes de l'armée aérospatiale russe sur des avions légers n'est nullement inhabituelle et remonte à l'époque soviétique. Aujourd'hui, avant d'entrer dans l'une des écoles de pilotage militaires russes, il est souhaitable que les cadets aient suivi une formation élémentaire de vol sur des avions légers, voire même en aéroclub par exemple.

La nature secrète des actions menées par le FSB signifie que nous ne saurons peut-être jamais avec certitude ce que faisait ce DA42M-NG en Syrie, mais cela montre une fois de plus que la Russie est de plus en plus disposée à tester des technologies nouvelles et potentiellement innovantes de son vaste et continuel effort de modernisation dans ce pays déchiré par la guerre dont l’espace aérien lui est acquis. Quoi qu'il en soit, la Syrie n'est certainement pas le pays où l'on aurait pensé tomber sur un DA42 militaire.



Une série de Diamond DA42T  russes sur le tarmac de l’usine Uzga d’Ekaterinbourg.
© UZGA