#1 [↑][↓]  18-02-2023 17:45:49

philouplaine
Copilote
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[Réel] Récit d’un pilote de chasse ukrainien

Bonjour chers amis,

Suite à mes posts sur les avions américains que pourrait recevoir l’Ukraine,

ici pour des F-16  et là pour des A-10

Je vous ai traduit le récit sur la guerre russo-ukrainienne d’un pilote de chasse ukrainien en décembre dernier …
J’ai pensé que ce qu’il avait à dire pourrait vous intéresser.

Et dans ce récit, Fuchs pourra même voir avec plaisir que ce qu’il proposait :

Fuchs a écrit:

Si le but est de leur fournir un moyen défensif afin de repousser et détruire les Russes pourquoi ne pas leur donner des AH-64?

… est aussi dans les tuyaux du côté ukrainien … car la modernisation de l’équipement de l’aviation de l’armée de terre ukrainienne et surtout de son équipement en hélicoptères de combat même si on en parle que très peu dans les médias occidentaux est quelque chose qui est très vif dans l’esprit des responsables ukrainiens.

Les illustrations sont, pour la grande majorité, celles de l’article original.

Bonne lecture
Philippe




LE RECIT D'UN PILOTE DE MIG29 SUR LA GUERRE AERIENNE AU-DESSUS DE L'UKRAINE

Le pilote ukrainien de MiG-29 "Juice" détaille la guerre aérienne qui se déroule au-dessus de son pays, une guerre en rapide mutation où les tactiques et les capacités changent rapidement.


Par Thomas Newdick, 15 décembre 2022


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Le pilote de chasse "Juice" aux commandes de son MiG-29. © Force Aérienne Ukrainienne


Dans cette interview exclusive, neuf mois après le début de la guerre russo-ukrainienne, le pilote de chasse MiG-29 Fulcrum de l'armée de l'air ukrainienne, dont l'indicatif d'appel est "Juice", nous fait un point détaillé sur la guerre aérienne en cours au-dessus de son pays.

Depuis les combats aériens frénétiques des premières semaines de la guerre, la nature de la menace russe a évolué, tandis que la partie ukrainienne a introduit de nouveaux systèmes de défense aérienne basés au sol et que l'armée de l'air a assumé de nouvelles missions, principalement la suppression des défenses aériennes ennemies. Au cours d'un large débat, Juice a également fait part de ses réflexions sur les perspectives de voir l'armée de l'air ukrainienne obtenir enfin les nouveaux avions de combat et autres armements dont elle a cruellement besoin.


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Un vol d'entraînement impliquant des MiG-29 monoplaces et biplaces. Juice vole en tête, avec le drapeau ukrainien dans le cockpit. © Yurii Kysil


Missions actuelles des MiG-29 ukrainiens

Pour Juice, la majorité de ses sorties concernent l'interception locale d'une menace. Cependant, en fonction des besoins, il est parfois envoyé dans des zones plus éloignées où la puissance aérienne est particulièrement demandée, notamment dans les régions de Mykolaiv et de Kherson, dans le sud du pays.

Les missions d'escorte font également partie de son travail, afin de protéger les ressources air-sol lorsqu'elles travaillent plus près des lignes de front. Une vidéo récente montrait une paire d’avions d'appui rapproché Su-25 Frogfoot accompagnés à basse altitude par un MiG-29. Juice explique qu'il ne s'agissait pas d'une mission réelle, mais d'une formation de "parade" mise en place au retour des lignes de front. "Il n'est absolument pas efficace de voler comme cela sur le champ de bataille", nous indique Juice. "Bien sûr, je ne suis pas autorisé à vous dire quelles sont les vraies tactiques que nous mettons en oeuvre, mais c’est absolument différent".

En ce qui concerne l'état de la flotte de MiG-29, les principaux problèmes sont d'ordre logistique et de maintenance. Il s'agit de maintenir les avions prêts au combat en permanence sur des sites répartis dans tout le pays, y compris des aérodromes "de fortune" très camouflés. Juice nous dit qu'il n'y a pas pour l’instant de "problèmes vraiment critiques" et que les pièces de rechange fournies par les alliés occidentaux à partir de leurs stocks ont été d'une grande aide. "Parfois, c'est même du matériel de meilleure qualité que celui que nous avions auparavant quand il s'agit de systèmes modernisés, mais malheureusement, bien sûr, nous avons encore des pertes." La flotte globale d'avions de chasse ukrainiens diminuant, les responsables de la maintenance et les ateliers de réparation de l'État sont contraints de remettre à neuf un nombre croissant de vieux avions à réaction qui étaient hors service depuis longtemps.

Les tueurs de radars

Outre la chasse aux drones et aux missiles russes, une autre nouvelle mission pour les MiG-29 (et les Su-27) ukrainiens consiste à utiliser le missile antiradar américain à grande vitesse AGM- 88. Juice n'a pas encore effectué de mission où il aurait eu à lancer des missiles HARM (NdT - HARM pour High-speed Anti-Radiation Missile), mais il ne tarit pas d'éloges sur cette arme et les nouvelles capacités qu'elle apporte aux combats récents sur le terrain.

"Après la livraison des HARM, la maintenance et la remise en état d'un plus grand nombre d’avions pour ces missions sont devenues une nouvelle priorité pour notre armée de l'air, parce que cela fonctionne vraiment et que c'est très utile pour nos opérations conjointes", explique Juice. "Après cela, notre force aérienne est devenue beaucoup plus performante".
Juice considère également que la formation des pilotes à la maîtrise du missile tueur de radar n'est "absolument pas un problème... Je peux le faire ici et maintenant, il suffit de me les donner".

En fait, la disponibilité de l’armement américain HARM implique que l'armée de l'air ukrainienne peut commencer à imiter les opérations tactiques occidentales, avec des séries de missions de type SEAD de suppression des défenses anti-aériennes ennemies (NdT – Une  mission SEAD  pour Suppression of Enemy Air Defenses, vise à supprimer les défenses aériennes ennemies basées en surface, y compris non seulement les missiles sol-air (SAM) et l'artillerie anti-aérienne, mais aussi les systèmes connexes tels que les radars d'alerte précoce et les centres de commandement tout en marquant d'autres cibles à détruire par une frappe aérienne. Dans les récentes campagnes de l’armée américaine, les missions SEAD ont représenté jusqu'à 30 % de toutes les sorties lancées au cours de la première semaine de combat. Bien qu'elles soient principalement menées par des missions aériennes, les missions SEAD peuvent être aussi exécutées en combinaison avec des forces terrestres).

Bien entendu, les capacités de combat aérien de l’armée ukrainienne sont encore fortement limitées. Juice nous a expliqué les principales pièces manquantes du puzzle : les munitions air-sol guidées avec précision, les missiles air-air à radar actif et les radars de combat avancés. "Nous essayons de faire de notre mieux avec ce que nous avons et, dans l'ensemble, la situation semble bien meilleure qu’au début de la guerre", nous dit Juice. Il a notamment observé avec intérêt comment les blogueurs militaires russes ont réagi au HARM. Il nous dit dans un sourire : "Ils sont très, très en colère à cause de nos succès. Et surtout leurs civils qui croyaient vraiment qu'il n'y avait pas de force aérienne digne de ce nom en Ukraine et pas de défense aérienne du tout."


Vidéo YouTube – Un MiG-29 ukrainien tire un missile américain AGM-88 antiradar à grande vitesse (HARM)
Durée 1min40


Évolution des GBADS ukrainiens

Disposer de missiles antiradars était ce que Juice avait déclarées comme prioritaire lors de notre entretien de mars dernier. À l'époque, il avait également indiqué que l’armée ukrainienne avait un besoin urgent de systèmes de défense aérienne basés au sol (NdT - Les fameux GBADS pour Ground-Based Air Defence Systems) plus avancés, ce qui a commencé à être fait avec la livraison par les Occidentaux d’armements de type de NASAMS norvégiens, IRIS-T allemands, Crotale français et autres.


Une note de l’OTAN sur l’évolution prévue pour 2020-2024 des GBADS (en Anglais)


Selon Juice, le fait que des systèmes occidentaux comme ceux-ci soient maintenant entre les mains des Ukrainiens est le reflet du succès des campagnes de plaidoyer et de communication publique que l’Ukraine a conduites récemment, qui ont amené Juice à se rendre au Capitole et au Pentagone pour expliquer exactement le type d'armes dont l'Ukraine avait besoin pour continuer à inverser le cours de la guerre.


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Le pilote de chasse ukrainien Juice à Washington en juillet dernier pour demander des avions modernes aux Etats-Unis. © Nancy Cole


"Heureusement, nous avons prouvé que nous avions vraiment, vraiment besoin de ces systèmes et nous avons donc obtenu les systèmes NASAMS, IRIS-T, HAWK, Avenger et Crotale." Si le NASAMS et l'IRIS-T SLM ont "déjà prouvé leur efficacité", l'obtention de l'Avenger, en particulier, est une victoire pour Juice, en raison de sa flexibilité et de sa capacité à abattre des drones comme le Shahed. Il en va de même pour la livraison de mitrailleuses lourdes avec viseur à imagerie thermique que les États-Unis ont approuvée pour l'Ukraine le mois dernier.

Pour ce qui est de l'avenir, M. Juice note que la livraison par la France du système de missiles sol-air SAMP/T Mamba qui a, outre sa capacité à abattre des missiles de croisière, une capacité anti-missiles balistiques, est potentiellement prévue et que de nouveaux lots de NASAMS et d'IRIS-T SLM sont attendus avec impatience.
"Nous sommes reconnaissants à tous les alliés qui nous ont fourni ces outils qui nous étaient indispensables", ajoute Juice. "Mais malgré tout, le nombre optimal de ces systèmes est trop important. C'est pourquoi nous espérons toujours que les pays occidentaux nous aideront en fournissant quelques lots supplémentaires. Et j'espère qu'à partir de ce petit lot de quatre Avengers, nous en recevrons beaucoup plus par la suite. J'espère que vous les verrez aussi bien protéger nos centrales électriques que notre ligne de front."

Le visage changeant de l'ennemi

En mars, Juice nous avait dit qu’il constatait que les forces aériennes russes étaient peu disposées à s'engager avec l’ennemi ukrainien, à moins que les chances ne soient très nettement en leur faveur comme dans des dogfights à 5 contre 1. Il semble que, sept mois après, peu de choses aient changé à cet égard, selon notre pilote de MiG.

Néanmoins, l'Ukrainien admet que l'ennemi russe est devenu beaucoup plus rusé, tirant les leçons de ses lourdes pertes au cours des premières semaines de la campagne. Les Russes maintiennent toujours des patrouilles aériennes de combat 24 heures sur 24 avec des avions de chasse, qui sont soutenus par des avions d'alerte avancée Beryev A-50 Mainstay et des avions de renseignement électromagnétique Iliouchine Il-20 CootA. Les Il-20, très utilisés par les Russes, sont également utilisés par les Ukrainiens.

Outre l'Il-20, capable d'espionner les émissions électroniques et radio ukrainiennes, son dérivé l’Iliouchine Il-22PP Mute a également été régulièrement utilisé. L'Il-22PP ajoute une capacité de brouillage à distance et vise principalement les radars de défense aérienne. Il fait partie d'une vaste flotte russe de guerre électronique qui comprend également des hélicoptères de brouillage, ainsi que des avions Su-24MR Fencer-E et Su-34 Fullback équipés de nacelles de collecte de renseignements et de brouillage radio.


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Le prototype de l’Iliouchine Il-22PP, connu sous le nom de Prorubshik (signifiant voleur de bois), avion de renseignement électronique et de brouillage à distance.  © Alex Snow

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Un des quatre Iliouchine Il-20 de l’armée de l’air russe. © Aleksey Simanovich


"Ils font cela presque 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ce qui est très dangereux pour notre défense aérienne", déclare Juice. "Le principal danger est qu'un Soukhoï Su-35 peut transporter non seulement des missiles air-air, mais en même temps des missiles air-sol Kh-31P et aussi des missiles antiradar AS-17 Krypton, de sorte qu'il peut effectuer en une seule sortie des missions d’appui au sol et de destruction de nos défenses anti-aériennes. Ces Su-35 disposent également de leurs propres nacelles de contre-mesures électroniques de type Khibiny. Avec tout cet armement, cet avion est un grand danger pour nous, mais heureusement, il s’avère en fait ne pas être aussi efficace que nous l'avions craint."


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Une photo non datée d'un Su-35S armé de deux missiles à longue portée R-37M (un sous chaque entrée de moteur). Le chasseur est également armé d'un missile à longue portée Kh-31PM et de missiles à courte portée de la série R-73. © Guy Plopsky


Une autre nouvelle arme russe préoccupante est le missile air-air à très longue portée Vympel R-37M (Code OTAN AA-13 Axehead), porté par le Su-35S et le MiG-31BM Foxhound-C. Cette arme n'a pas été utilisée au cours des premiers mois de la guerre, mais elle est apparue pendant l'été et, selon les mots de Juice, elle est "sacrément dangereuse". La très longue portée du R-37M - qui pourrait atteindre de400 km – est une réelle menace pour les avions ukrainiens car ce missile peut être tiré depuis une zone située loin à l'intérieur de l'espace aérien russe.

Il semble toutefois que les Ukrainiens aient trouvé un moyen de réduire la menace posée par le R-37M. Juice nous l’explique : "Heureusement, comme nous avons compris leurs tactiques lors des premiers tirs de ce missile, nous avons pu créer nos propres techniques tactiques pour les éviter tant faire que se peut. Mais malgré tout, ces missiles depuis leur apparition sur le théâtre des opérations limitent nos capacités à mener toutes les missions que l’on souhaiterait. Car lorsque vous êtes en train de manœuvrer pour éviter un Vympel, vous n’êtes plus en mesure de fournir une frappe aérienne ou autre chose, donc le jeu de pilotage tactique reste très, très, très dur dans les airs et très, très risqué désormais. Plus qu’au début de la guerre. C’est bien simple, si vous n'êtes pas averti du lancement d'un tel missile, vous êtes un pilote mort."


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Un missile air-air R-37M de la société Vympel sous l'aile d'un Soukhoï Su-35S. © Vympel


Une autre caractéristique de la menace aérienne russe, qui n'était pas évidente du tout dans les premiers mois de la guerre, est l'utilisation de pilotes mercenaires, notamment du tristement célèbre groupe Wagner.

Si les pilotes de chasse russes volent généralement en privilégiant plus que tout "ma sécurité d'abord ", évitant de pénétrer dans les zones de défense aérienne ukrainiennes, ce n'est plus toujours le cas d’autres pilotes russes, comme le souligne Juice. "Par exemple, pendant l'opération de notre contre-offensive dans la région de Kharkiv en septembre, les russes ont recommencé leur tactique chaotique. Ils envoyaient des bombardiers, des Su-25 Frogfoots, et même des chasseurs, au-dessus de la ligne de front, avec les habituelles bombes non guidées. Et bien sûr, nos gars en ont abattu beaucoup sur place.


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Le pilote de chasse Juice lève trois doigts pour représenter le trident, le symbole national de l'Ukraine. © Force Aérienne Ukrainienne


Dans le concept de ce que doit être la mentalité du combattant de Juice, une condition préalable indispensable est de garder la tête froide à tout instant et quelle que soit la situation. "Peu importe ce qui se passe, il faut toujours avoir la tête froide pour réaliser les opérations de manière efficace et sûre." Lors de la contre-offensive de Kharkiv, cependant, les adversaires russes se sont dit : " Hé, merde, ils sont sur la contre-offensive, que faire ? Je vais envoyer tout ce que j'ai. C'est absolument stupide. Heureusement pour eux et malheureusement pour nous, ils ont maintenant des escadrons Wagner pour ces stupides missions suicides. Mais même pour les pilotes de Wagner et pour les autres, ces missions suicide ce sont des ressources, des avions, et de l'argent, et c'est toujours des putains de vies sacrifiées. Mais les russes s'en foutent de ça."

Dans le cas des Su-24 et des Su-25 exploités par Wagner, "je peux vous dire que ce sont de vieux grands-pères qui pilotent ces appareils Wagner, mais malgré leur âge ils sont quand même une menace. Surtout parce qu'ils sont fous. Ils n'ont en fait aucune règle d'engagement car ils ne sont pas des combattants officiels. Ils ne se soucient pas des gens. Ils ne se soucient pas des civils. Ce sont juste des mercenaires - ils sont juste là pour tuer un maximum de types et c'est tout. "


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Un Su-25 avec les insignes du groupe Wagner au-dessus de Bakhmut en novembre dernier. © Rob Lee


L'apparition du HARM aux mains des Ukrainiens a eu l'effet escompté sur les défenses aériennes russes basées au sol, même si elles restent un adversaire redoutable. "Ils ont peur, bien sûr, parce que maintenant chaque MiG, chaque Flanker dans les airs est une menace possible pour eux", explique Juice. "Et bien sûr, ils sont obligés d'éteindre les radars. Mais vous devez comprendre qu'ils ont vraiment beaucoup de systèmes et de multiples échelons. Ils peuvent simplement éteindre quelque chose dans cette direction, mais d'autres systèmes resteront opérationnels. Par exemple, leurs systèmes sol-air Pantsir (Code OTAN SA-22 Greyhound) disposent également d'une station électro-optique, donc il reste une menace pour nous."

Dans l'ensemble, les défenses aériennes russes restent un énorme obstacle, bien que le HARM rende clairement les missions dans leur voisinage beaucoup plus sûres désormais. Juice affirme que les russes "ont été obligés d'utiliser des systèmes supplémentaires" ainsi que d'introduire "des systèmes plus anciens pour remplacer les systèmes modernes endommagés. Mais, malgré tout, ça reste très dangereux de voler autour des lignes de front, il y a toujours beaucoup de MANPADS et d'autres choses".

Il apparaît également que la Russie est en train de renforcer sa puissance aérienne en Crimée occupée, qui est un bastion de la puissance de combat de Moscou. Bien que la perte de Kherson ait éliminé un grand nombre de bons sites de défense aérienne qui protégeaient autrefois la Crimée, et malgré le temps hivernal qui entrave certaines opérations, les renseignements dont disposent les forces armées ukrainiennes indiquent que deux lots de Su-35, un lot de Su-30 et un lot de Su-34 ont récemment envoyés en renfort en Crimée.

Il y a aussi le spectre d'une implication croissante de la Biélorussie dans la guerre, un scénario que Juice craint et qui conduirait à davantage de frappes aériennes lancées depuis ce pays. Cela pourrait bien impliquer des très gros missiles de croisière supersoniques Kh-22 Bouria (code OTAN : AS-4 Kitchen) tirés depuis des Tu-22M3 Backfire-C ou des missiles de la série Kh-59M à guidage TV (code OTAN : AS-13 Kingbolt) lancés depuis des Flankers. Actuellement, les armes de ce type sont principalement capables de frapper des cibles dans l'est et le sud de l'Ukraine, mais une nouvelle campagne aérienne menée depuis le Belarus mettrait également en danger une grande partie de l'Ukraine occidentale.

La capacité de la Russie à reconstituer ses unités pour compenser les pertes est une autre préoccupation constante, bien que Juice note également que le processus ne se faire pas aussi rapidement que les Ukrainiens le craignaient. Dans le même temps, Juice nous apprend que la Russie a commencé à aligner sur le front des vieux Soukhoï Su-24, ce qui suggèrerait que l'approvisionnement en avions de combat modernes ne répond plus vraiment aux besoins actuels des russes.

Le besoin des forces ukrainiens en nouveaux armements

"Bien sûr, nous avons également besoin de beaucoup plus d’avions" poursuit Juice. "Mais ce n'est pas tant une question de nombre que de qualité. Nous pourrions avoir des centaines de Frogfoots et de Su-24 équipés de vieilles bombes muettes et des roquettes des années soixante-dix, nous ne serions pas plus efficaces sur ce terrain de combat pour autant. Nous avons besoin de quelque chose de plus avancé, avec une capacité de combat face-à-face de haute précision."

Cela a conduit Juice à nous entreprendre sur la question de nouveaux avions de chasse pour l'Ukraine, une question lancinante depuis le début de cette guerre … quelque chose pour lequel Juice et ses collègues pilotes mènent une campagne auprès de l’Occident depuis longtemps.

En ce qui concerne ces possibles futurs chasseurs, ce qui est important pour Juice, c'est un appareil qui soit aussi bien capable de réaliser des missions air-air que des missions air-sol. Dans cette optique, la livraison promise de MiG-29 d'occasion par la Slovaquie ne sera qu'une solution partielle, mais elle sera très utile pour compenser les pertes déjà subies par l’armée de l’air ukrainienne. Des discussions similaires sur le transfert de MiG-29 polonais ou bulgares n'ont pas abouti.
La nécessité de disposer d'une certaine capacité air-sol de précision a été mise en évidence lors des combats autour de la région de Kherson en septembre dernier. Dans cette région, les avions ukrainiens d’attaque au sol Soukhoï Su-25 ont été largement utilisés tirant sur les forces russes des roquettes non guidées, avec une efficacité bien moindre que celle qui pourrait être obtenue avec un avion plus moderne équipé d'armes guidées.

"Ces pilotes sont incroyablement courageux et ce sont de véritables héros, mais malheureusement, ce n'est pas suffisant pour gagner dans cette guerre", déclare Juice à propos de ses collègues pilotes de Su-25. Cependant, la situation actuelle des défenses aériennes russe dans la région de Kherson est telle que tout avion ukrainien qui survole le Dniepr, qui sépare les forces russes et ukrainiennes, sera tout simplement abattu à coup sûr, nous explique Juice. En attendant, la portée des roquettes équipant actuellement les Su-25 ukrainiens n'est pas suffisante pour apporter un feu efficace sur l'ennemi retranché de l’autre côté du Dniepr.

Par conséquent, un nouvel avion de combat multirôle est "une priorité essentielle pour notre force aérienne et pour l'ensemble de nos forces armées", affirme Juice. "Un tel avion multirôle nous permettrait de sauver beaucoup de vies civiles dans les régions attaquées par les missiles de croisière et les drones russes, d'effectuer des interceptions plus efficaces et, bien sûr, d'assurer les opérations de contre-offensives sur les lignes de front".

A côté de ce besoin en avion, une nouvelle arme air-sol de précision pourrait potentiellement être intégrée sur les avions de combat ukrainiens existants, en suivant l'exemple établi avec le missile HARM. Juice considère que, théoriquement, une telle modification pourrait être une proposition bien plus réaliste que l'introduction de l'autre nouvelle arme demandée récemment par l’Ukraine auprès des Occidentaux, un missile air-air à radar actif.

Juice : "C'est trop long, trop cher et trop compliqué d'intégrer un système air-air sur un vieil avion de l’ère soviétique comme le MiG-29". Une telle arme offensive pourrait hypothétiquement fonctionner sur un MiG-29 ou même sur un Su-27, mais il est vrai qu'elle serait globalement moins performante que la même arme sur un appareil occidental récent. Il en va de même pour les missiles antiradar HARM, qui ont été monté récemment sur des MiG-29 ukrainiens mais avec une capacité assez limitée.

Juice pense que des progrès sont enfin réalisés en ce qui concerne un nouveau combattant. "Je crois que quelque chose est en train de se passer. Il semble que le Pentagone soit sur la même longueur d'onde que nous et qu'il comprenne parfaitement nos besoins. Mais la question de savoir comment y répondre est assez compliquée."

Outre un nouvel avion de combat et la fourniture de systèmes avancés de défense aérienne basés au sol, Juice insiste également pour que de nouveaux équipements parviennent à l'armée ukrainienne y compris à l’armée de terre pour ses besoins aériens propres. "Malheureusement, note-t-il, ce besoin en matériel aérien de notre armée de terre n'est pas très discuté dans les médias internationaux ; ce n'est pas connu." Le plus souvent, les équipages de l'aviation de l'armée de terre ne sont tout simplement pas en mesure de faire valoir leurs besoins - ils sont tout simplement trop occupés. Juice nous explique ce que vivent les combattants ukrainiens de l’aviation de l’armée de terre : "Ils se battent tous les jours dans la campagne. Ils dorment très près de la ligne de front quelque part près de quelques vaches ou de chevaux, dans des petits villages, même dans des fermes avec les habitants". Juice participe à une fondation caritative ukrainienne qui fournit aux équipages de l'aviation de l'armée de terre certains équipements de survie essentiels. "Mais nous devons les aider non seulement à survivre, mais aussi à être efficaces et à aider nos unités terrestres à mettre les Russes dehors."

Plus important encore, Juice affirme que l'aviation de l'armée de terre ukrainienne a besoin d'hélicoptères d'attaque modernes. Des Mi-24 d'occasion ont été fournis par la République tchèque, vingt Mi-17 que les États-Unis avaient acquis au départ pour l’armée et quelques autres hélicoptères par d'autres pays. Mais ce que les Ukrainiens souhaitent vraiment, c'est un hélicoptère de la classe des Bell AH-1W Super Cobra et AH-1Z Viper.


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Chargement d’un Mil Mi-17 américain dans un C-17 Globemaster III sur la base aérienne de Davis-Monthan (Arizona) en juin dernier pour être livré à l’Ukraine. Un C-17 peut transporter un seul hélicoptère de ce type. © USAF


"J'espère vraiment que les gouvernements occidentaux nous aideront dans ce domaine", déclare Juice, notant que tout hélicoptère d'attaque moderne pourrait être mis à contribution, qu'il s'agisse d'un AH-1, d'un Tigre d'Airbus Helicopters ou même d'un AH-64 Apache. "L'Apache serait vraiment la meilleure solution pour nous. Ce type d’hélicoptères d’attaque c’est de la science-fiction pour nous. Nous le voulons vraiment, mais même des Super Cobra seraient très, très important pour nous sur les lignes de front car ils sont capables d'engager des cibles avec des armes à distance de haute précision, de jour comme de nuit."

Le commandement de l'armée de l'air ukrainienne travaille actuellement à l'obtention d'un nouveau chasseur en collaboration avec ses partenaires américains et d'autres nations occidentales. Comme l'observe Juice, il n'y a pas malheureusement de solution dans l’immédiat, surtout sans le soutien politique nécessaire.

"Il y a beaucoup de questions techniques, de questions de formation, de questions d'infrastructure, mais avant tout, c'est une question politique", estime Juice. "Tous nos alliés occidentaux sont prêts à nous aider - je veux dire les militaires, les responsables militaires. Mais il n'y a toujours pas assez de soutien politique pour le faire. Nous continuons à faire passer le message à tout le monde, au monde occidental, que la livraison d’un avion de chasse occidental moderne est un besoin absolument critique pour l'Ukraine."

Pour Juice, fournir à l'Ukraine un nouveau chasseur serait également une bonne chose pour l'Occident. Non seulement un avion à réaction serait en mesure de couvrir un plus grand espace aérien plus rapidement et en toute sécurité, sauvant ainsi plus de vies, mais il s'agirait d'un bon investissement dans l'avenir des forces armées ukrainiennes et de l'Ukraine elle-même. "Et ce serait une bonne affaire pour tout le monde", ajoute Juice. "Une bonne affaire pour le fournisseur, car nous en avons besoin de beaucoup et ce serait un contrat sur de nombreuses années". Enfin, "Ce serait quand même beaucoup mieux d'intercepter toute la merde volante que les russes nous envoient ici sur le front et pas à la frontière polonaise !".

Juice considère que presque tous les types d'avions de combat occidentaux de quatrième génération pourraient être utilisés par l'Ukraine. Il nous mentionne, comme tout le monde ici en Occident le sait déjà, le F-16 Viper bien évidemment car sa disponibilité actuelle avec près de 5000 F-16 construits et le fait qu’on le retrouve dans plusieurs forces aériennes occidentales en font un premier choix logique. Puis Juice nous mentionne aussi le F/A-18 Hornet, et le JAS 39 Gripen suédois.

Quant à l'argument selon lequel le Gripen serait le mieux adapté, en raison de sa capacité éprouvée à opérer à partir de pistes d'atterrissage rustiques avec une maintenance minimale et de son efficacité avérée lors des exercices de combat aérien même contre le F-16 (NdT - En 2006, des Gripen suédois ont participé à l’exercice Red Flag – Alaska organisé par l'armée de l'air américaine. À cette occasion, les Gripen ont effectué des sorties de combat simulées contre des F-16 Block 50, des Eurofighter Typhoon et des F-15C. Dès le premier jour de cet exercice, les Gripen ont enregistrés dix kills dont cinq F-16 Block 50 sans aucune perte). Juice cependant n'est pas entièrement convaincu. "J'ai déjà décollé dans cette guerre depuis une autoroute avec mon MiG-29, mes camarades l’ont aussi fait avec leur Su-27. Ce n'est pas l'aspect le plus important des performances qu’on attend. En outre, même si le Gripen est un bon avion, nous comprenons parfaitement que les suédois le gardent pour eux car ils n’en ont pas beaucoup (NDT – l’armée d el’air suédoise dispose de 204 Gripen)."

En revanche, le F-16, plus largement utilisé dans le monde, présente des avantages en termes de disponibilité immédiate d’avions et de pièces détachées. En outre, il permet de nombreuses options en termes d'équipement et d’armement embarqué, comme le souligne Juice. "Dans le cas du F-16, vous avez beaucoup d'options pour différents programmes de formation, différentes contre-mesures électroniques, différents moteurs, différents tout - c'est comme un Lego ! En général, je ne dis pas que le F-16 est meilleur en tant qu'avion lui-même, mais il est peut-être le choix le plus réaliste pour l'Ukraine, compte tenu des capacités, de la disponibilité, de l'accessibilité financière et, surtout, de la durabilité de cet appareil."


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Un F-16C de l'US Air Force roule devant des avions de chasse ukrainiens Su-27 et MiG-29, sur la base aérienne de Mirgorod, en Ukraine en 2011. Le Viper était en Ukraine pour l'exercice Safe Skies. © USAF


Une possibilité du Gripen que Juice considère avec une certaine envie est le fameux puissant missile air-air Meteor à très longue portée de la société européenne MBDA qui est tiré hors contact visuel avec la cible (NdT - Missile de type BVRAAM pour Beyond Visual Range Air-to-Air Missile. Ce missile équipe les avions Rafale, Typhoon, Gripen, et F-35 de nombreuses forces aériennes européennes). Ce missile air-air à longue portée équipée d'un statoréacteur comblerait l'écart actuel qui existe entre les armes ukrainiennes et le missile air-air russe R-37M, et mettrait en danger les avions russes même lorsqu'ils opèrent assez profondément dans leur propre espace aérien.

Pour Juice, cependant, "notre priorité, tout d'abord, est d'abattre leurs avions d'attaque directement au-dessus de la ligne de front, et pas seulement de détruire leurs avions de chasse, car il faut beaucoup de plus de ressources pour cela. Tout d'abord, nous devons couvrir nos régions, ensuite couvrir nos forces terrestres, et après cela, bien sûr, nous pouvons essayer de nous amuser avec leurs avions de chasse. Ce sera un grand défi. Mais malgré tout, un nouveau matériel signifie de nouvelles tactiques, une nouvelle doctrine tactique, et j'espère que tout cela nous aidera à réussir et que les Russes ne se sentiront plus autant à l'aise même dans leur propre espace aérien."

Il reste à savoir d'où viendraient ces missiles Meteor, si la Suède les remettrait volontiers ou s'il faudrait en construire de nouveaux lots, et si cela serait politiquement acceptable. Entre-temps, Juice considère le missile air-air de moyenne portée AIM-120 AMRAAM comme une arme beaucoup plus probable, d'autant plus qu'un certain nombre est déjà entre les mains des Ukrainiens dans le cadre du système NASAMS sol-air qui leur a été livré par les Norvégiens. En effet, les missiles qui équipent les batteries de tir NASAMS sont des missiles américains AIM-120. L'Ukraine est donc maintenant familiarisée avec l’AIM-120 AMRAAM, et les dispositions logistiques pour en fournir plus seraient beaucoup plus simples à mettre en œuvre.
Avant tout, Juice et ses collègues pilotes de chasse ukrainiens ont besoin de nouveaux avions modernes le plus tôt possible, "… avant qu'il ne soit trop tard, parce que dans certaines régions, la situation sur le terrain est très critique, les combats y sont très durs. Et malheureusement, nous ne sommes pas en mesure d'aider là-bas. Nous ne sommes pas en mesure d'aider valablement nos gars au sol".

Un nouvel avion de combat serait merveilleux pour soulager la pression sur nos troupes au sol. La manière dont Juice et ses collègues ont continué à mener le combat contre les Russes, en introduisant dans l’armée de l’air ukrainienne de nouvelles armes et de nouvelles tactiques de combat en un temps très limité, suggère qu'un chasseur moderne de quatrième génération pourrait véritablement changer la donne une fois entre leurs mains. Entre-temps, l'armée de l'air ukrainienne continuera à faire ce pour quoi elle est connue, c'est-à-dire déjouer les pronostics et continuer avec succès de tenir en échec une armée de l'air ennemie bien mieux équipée.


FIN


ouaf ouaf ! bon toutou !!

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