Cher(e)s ami(e)s,
Je vous présente la traduction d'un article d'analyse et d'information paru tout récemment (hier 11 septembre) sur le site spécialisé américain de FlightGlobal.com ... On y parle de toute un foule d'acronymes: AOA, NGAD, PCA etc., qui agitent en ce moment les têtes bien pensantes de l'USAF et de Washington en ce moment. J'ai pensé que vous seriez peut-être intéressés à lire une traduction en français???? J'ai gardé les trois illustrations de cet article.
Bonne lecture!
Philippe



L’US Air Force s’intéresse de très près à ce que sera la supériorité aérienne du futur
Source : FlightGlobal.com du 11 septembre 2017
Article de Leigh Giangreco, Washington DC, USA

Comme l’US Air Force se prépare à la production de son nouveau bombardier stratégique le Northrop Grumman B-21 Raider et commence à profiter de la pleine capacité opérationnelle de ses chasseurs Lockheed-Martin F-35A, les responsables militaires s’intéressent de plus en plus à ce que pourrait être la supériorité aérienne dans le futur. Beaucoup de monde à l’USAF planche sur le concept NGAD, next-generation air dominance (supériorité aérienne de prochaine génération).

En avril dernier, l'USAF a commencé à dévoiler son étude sur la supériorité aérienne en 2030, qui évalue notamment les limitations des armes actuelles contre les menaces du futur telles qu’on peut les imaginer aujourd’hui (notamment à partir des travaux du groupe AOA de l’USAF – AOA = Analysis Of Alternatives). Ce qui a été dévoilé ne nomme aucun adversaire particulier, cependant ce document insiste, comme exemple d’ « extériorité », comme en passant sur le chasseur furtif chinois, le Chengdu J-20. De plus, ce le document de l’USAF présente le refus d’accès à certaines régions maritimes du globe comme une des menaces du futur. On sait les récents accrochages qui sont survenus ces dernières années entre des avions de l’USAF et l’armée chinoise dans la Mer de Chine Méridionale.


Concept de chasseur du futur de Lockheed Martin : plus une vue de l’imagination pour provoquer la réflexion qu’une réalité. © Lockheed Martin

Cette étude de l’USAF, dirigée par le brigadier-général Alexus “Grynch”  Grynkewich, USAF, critique aussi l’approche traditionnelle du développement des nouveaux avions, une véritable modification en profondeur de la stratégie. Au lieu d’un prototype développé sur la base d’un descriptif tenant lieu de plateforme de réflexion pour les concepteurs, le général propose plutôt le développement de prototypes spontanés chez les constructeurs. Prototypes aussitôt mis à l’essai et qui donneraient, en flux tendu en quelque sorte,  des versions améliorées au fur et à mesure de l’évaluation du prototype.

Vote de confiance

Malgré la pratique assez inhabituelle du président Donald Trump, qui par ses twits a volé dans les plumes des dirigeants de Boeing et de Lockheed en ce qui concernait la restructuration de Air Force One et le programme F-35, l’Administration américaine renouvelle sa confiance et continue à investir dans le programme NGAD. La proposition de budget de la Défense du Président pour l’année fiscale 2018 est manifeste. Le budget du programme NGAD passe en effet de 21 millions de dollar en 2017 à 294 millions de dollars en 2018.

Le document pour 2030 ayant été bouclé et présenté aux responsables et, en partie, au public, l’USAF est à mi-chemin de son programme NGAD tel qu’il avait été conçu au départ. Les budgets à venir serviront à financer des recherches sur le contour plus précis des menaces du futur telles qu’elles apparaissent dans le document 2030.

Le colonel Thomas « Tom » Coglitore, USAF, qui supervise les travaux du groupe AOA au sein du programme NGAD, est responsable des équipes qui travaillent sur : "évaluer et répertorier les futures menaces contre les intérêts des Etats-Unis". Il déclare : « Les défauts relevés dans la réponse actuelle de l'USAF par l’étude publiée dans le document pour 2030 ont d’ores et déjà conduit l’USAF à déplacer certaines de ses ressources matérielles afin de faire face beaucoup plus vite aux menaces du futur contenues dans ce document. » Il est clair que l’extraordinaire augmentation du budget du NGAD pour 2018 inclue notamment les dépenses supplémentaires dues à la mise en application du programme. Le colonel continue : « Ce redéploiement est le début du nouveau plan d’action stratégique de l’USAF pour les 30 ans à venir ». Il n’est donc pas anodin que le document du NGAD parle assez longuement du matériel chinois.

Ces cinq dernières années, les abréviations NGAD et PCA (pour Penetrating Counter-Air) ont été de plus en plus souvent utilisées à la fois par les autorités de l’USAF et par les industriels concerné, les deux concepts s’appliquant à l’avenir de la supériorité aérienne. Un exemple du concept de PCA est le programme de l’USAF concernant le chasseur de Sixième Génération. Mais la clarification par les officiels de l’USAF, sur ces concepts de PCA et de NGAD n’est que très récente. C’est ainsi qu’on a appris que le « penetrating » du concept de PCA est en quelque sorte contre-nature pour l’USAF actuelle puisque cette notion de « penetrating » concerne un nouveau chasseur qui ne serait plus d’abord une plateforme conçus pour le combat face-à-face avec des chasseurs ennemis.

Le directeur des programmes « Ailes Fixes » chez Boeing Phantom Works, une division de recherches du constructeur Boeing, David Bujold déclare : « La nuance porte surtout sur l‘utilisation de l’avion de combat du futur, pendant que le pilote est concentré sur l’affrontement, l’avion, équipé de senseurs en très grand nombre, continue de « ressentir » ce qui se passe au loin afin de faciliter la pénétration plus en profondeur à l’issue du combat en cours. Je pense que c’est précisément ce que les officiels de l’USAF ont en tête quand ils parlent des capacités d’affrontement et de pénétration dans le concept NGAD »

Tom Coglitore précise l’agencement de ces concepts nouveaux: le concept de NGAD correspond au programme en son entier et, donc, aux lignes budgétaires. Le concept de l’AOA concerne la réflexion sur les seules menaces du futur, et les acquis de cette réflexion constituent les attributs à développer dans le concept de PCA. Le PCA n’est qu’un des éléments conceptuels développés à partir du programme NGAD. Le PCA pourra être appliqué à plusieurs possibilités d’avions nouveaux de haut en bas de l’échelle des besoins militaires.

Coglitore continue : « Quand Grynch parle du programme NGAD, il ne pense pas à une suite d’avion plateforme spécifiques comme un nouveau chasseur, un nouveau bombardier, un nouvel avion de reconnaissance. On raisonne plus en termes de familles de capacités, telles que ressortant du travail du groupe ECCT (Air Superiority Enterprise Capability Cooperation Team) que j’ai dirigé avant de rejoindre le NGAD. Le PCA est l’une de ces familles. »

Ce discours des gens de l’USAF semble a priori n’être rien d’autre qu’un enfumage coloré par une série d’abréviations toutes plus incompréhensibles les unes que les autres, à la mode de la soupe servie par Washington depuis si longtemps. Mais, à y regarder de plus, il apparaît que les significations évasives des termes PCA et NGAD résument assez bien finalement ce qui se cogite dans ce programme. Contrairement à tous les programmes qui l’ont précédé à l’USAF, le programme NGAD ne réfléchit pas à une nouvelle plateforme de chasseur du futur. depuis un ou deux ans, le général Grynkewich, dans ses discours et dans le document rendu publique, n’utilise même plus les termes « chasseur » ou « de sixième génération », qu’on lit encore ici et là chez d’autres. Cependant, sans aller loin, cette nouvelle rhétorique de l’USAF pourrait n’être que le moyen trouvé pour botter en touche les calomnies qui s’agglutinent sur le programme du chasseur F-35. Allez savoir!


Comme son rival Lockheed-Martin, Boeing explore aussi les concepts d’avions sans empennage pour augmenter le potentiel de survie des avions militaires. © Boeing

Interrogé par FlightGlobal, le général Grynkewich a précisé que l’avion répondant aux normes PCA serait plus un avion de projection global dans le monde entier qu’un appareil fixé à une base d’attache et limité par son rayon d’action. Il nous déclare: “Une mission de supériorité aérienne est fondamentalement différente au sein de la Marine ou au sien de l’USAF. Pour la Marine, la supériorité aérienne de l’Aéronavale c’est la protection efficace de la flotte. Pour l’USAF, c’est répondre à la question : comment vais-je pouvoir projeter une force aérienne d’attaque n’importe où dans le monde. Pour obtenir cela il me faut une protection efficace de cette force d’attaque partout, c’est ça la supériorité aérienne du futur. » En continuant notre interview, le général admet que le premier avion développé à partir du programme NGAD pourrait bien finir par avoir une appellation  en « F ». Il nous précise quand même que les impératifs PCA sur le rayon d’action, sur la continuité de l’action, et sur l’impact de l’action n’aboutiront pas à un avion qui ressemble aux chasseurs actuels. Car tous les chasseurs actuels sont toujours dans la continuité des tactiques de la guerre aérienne développées au XXème siècle.

Les officiels de l’USAF n’ont toujours pas identifié comment va s’immiscer le PCA dans la vie quotidienne : l’avion PCA sera une sorte de chasseur ? Une sorte de bombardier ? Tout ce qu’ils savent, c’est que cet avion sera un peut tout ça en même temps et, surtout, qu’il sera capable d’aller attaquer n’importe où dans le monde avec une capacité totale de survivre à l’attaque. Les concepts NGAD sur lesquels Boeing et Lockheed-Martin travaillent actuellement, sont des sortes de petits bombardiers ou de gros chasseurs furtifs dont la silhouette ne montre aucun empennage (tailless aircrafts). Mais les deux Sociétés précisent aussitôt que ces avions ne sont qu’une option parmi beaucoup d’autres.

Bob Ruszkowski, directeur chez Skunk Works, une division de Lockheed, a déclaré à FlightGlobal : « Savoir maintenant si le futur chasseur PCA sera sans empennage est, pour le moment, très prématuré (...) Mais c’est un fait que l’absence d’un empennage augmente considérablement la capacité d’un avion de combat à survivre aux combats. Nous sommes en plein milieu de l’exploration des nouvelles technologies, la proposition d’avion PCA que propose Lockheed-Martin est plus une vue de l’imagination pour provoquer une réflexion plus poussée qu’une réalité. (...) Le rayon d’action du chasseur PCA sera bien plus grand que celui d’un F-22, mais le général Grynkewich ne nous a pas fait avoir si ce rayon d’action serait plus grand que celui d’un bombardier, par exemple. (...) Le général insiste beaucoup sur le fait que l’avion plateforme PCA devrait être d’abord un « arsenal de senseurs » à courtes et très longues distances. Si bien que l’avion PCA devrait pouvoir être équipé de n’importe laquelle des armes de l’arsenal de l’USAF, fusées, missile, bombe etc. »

Lors d’une conférence en juillet dernier au Capitole, le général Grynkewich disait : « Quand on pense à la supériorité aérienne ans le futur, on ne pense plus du tout à des combats de chasseurs à chasseurs. Il faut penser plus à un réseau de senseurs et d’armes porté par un avion qui aboutissent à assurer la supériorité aérienne à n'importe quel endroit du monde en moins de douze heures. Si la technologie et ses développements futurs permettaient, un jour, de posséder une technique d’attaque globale à tout endroit du globe concentrée dans une seul système, un peu comme l’Etoile de la Mort des Star Wars, alors c’est après cela que nous courrons. Alors, peut-être voudrez-vous développer ce système, peut-être pas. »

Une approche fraîche

Ce qui ressort des documents de l’AOA, c’est que la furtivité, qui a été ces dernières décennies une obligation pour tout nouveau chasseur y compris les récents F-22 Raptor et F-35 Lightning II. Le concept PCA gravite plus autour d’un mix efficace de vitesse, de guerre électronique, etc qui se complémenteraient de la manière la plus astucieuse possible.

C’est tout à fait ce que Coglitore dit en écho aux violentes critiques émises par l’ECCT sur les récentes acquisitions de l’USAF. Tout cela pointe vers un concept d’avion NGAD qui serait en rupture totale avec tout ce que véhicule la conception actuelle d’un avion militaire. De plus, Coglitore laisse entendre que le concept NGAD pourrait être étendu à plus qu’un seul type d’avion. L’étude de l’ECCT comprenait un travail sur des concepts d’avion plus anciens comme un avion sans pilote sur lequel a travaillé l’Air Force Research Laboratory, ou comme le LCASD (Low-Cost Attritable Strike Demonstration), ou encore le concept d’ « avion-magasin » pensé par l’Office des Capacités Stratégiques du Pentagone qui visait à transformer les B-52 mis au rebut en entrepôts volants.


Une possibilité d’avion du futur serait une version améliorée en senseurs du F-35. © USAF

Ruszkowski continue: “Si vous regardez de près ce que dit le document du programme NGAD, l’avion correspondant devra être bien plus qu’un chasseur. Ces directives NGAD me font plus penser à cet avion comme un gros transporteur d’armes de tout type équipé de plein de senseurs. Le gars qui pensent que ce sera une sorte de chasseur évolué se mettent le doigt dans l’œil, ils sont trop ancrés dans la pensée tactique de la vieille école. C’est à des années-lumière de ce sur quoi nous travaillons depuis quelques années maintenant ».

Apparemment, la configuration et les capacités PCA sont désormais prêtes, il reste à attendre que les directives AOA soient formulées. Ruszkowski pense qu’en plus des avions NGAD, il lui semble évident que l’USAF continuera à développer à côté des avions plus conventionnels. Cependant, il ne pense pas que le concept de « Loyal Wingman » récemment étudié par l’USAF où un chasseur piloté par un homme volerait en formation rapprochée avec un autre avion de chasse sans pilote qui le protégerait ( loyal wingman = équipier dévoué) ait un quelconque avenir comme partie d’un projet NGAD.

Mise au point nécessaire

Ruszkowski ajoute : « L’utilisation d’avions sans pilotes, les fameux drones, aussi bien dans le domaine militaire que dans le domaine civil, a encore pas mal de chemin à faire pour devenir une routine. En ce moment, beaucoup de gens à la FAA travaille pour proposer bientôt une régulation des vols de drones (...) Le pilotage à distance d’un drone, surtout militaire, exige vraiment beaucoup d’heures d’entraînement. Et beaucoup d’heures d’entraînement nécessite de transiter facilement par les espaces aériens civils. »

L’USAF examine aussi les technologies à acquérir et à développer pour leur avion plateforme NGAD qui sera mis en service vers les années 2030. Et parmi ces technologies nouvelles, certaines sont en discussion parmi les officiels de l’USAF depuis des décennies déjà. Le colonel Coglitore rappelle que les Services qui travaillent sur les normes PCA et AOA parlent beaucoup plus de « capacités » nouvelles que de technologies nouvelles. Par exemple, le concept d’avion NGAD n’a pas un besoin évident pour être équipé de lasers. Mais la réflexion de l’AOA consiste à assurer que si, tout à coup, il faudrait qu’un laser soit monté sur l’avion NGAD, on puisse le faire dans la minute qui suit.  Du coup, la réflexion se porte sur comment faire pour que ce soit vrai quel que soit ce qui est demandé. La réponse est un avion plate-forme aux potentialités multiples, on est bien loin du simple chasseur actuel.

Enfin, le programme NGAD travaille sur un concept avion fonctionnant à l’énergie directe (direct energy) (NdT : Basée sur un magnetic compression-expansion converter, l’énergie directe utilise une machine qui transforme l’énergie cinétique en voltage avec un haut rendement). Le général Grynkewich déclare : «  Je veux que l’avion du futur soit équipé d’une source d’énergie directe dès que possible. Je veux que l’avion, quel que soit cet avion, soit prêt à être équipé immédiatement de cette technologie dès que celle-ci sera vraiment mise au point. »

Croulant en quelque sorte sous les différentes études AOA, l’USAF considère néanmoins toujours de tenir compte pour l’avion NGAD de systèmes anciens qui ont fait leur preuve, voire même de pouvoir changer au dernier moment de certains concepts tactiques pour faire marche arrière, au cas où ... mais ce sont les industriels de la Défense qui ont le plus à cœur de travailler et de s’approprier un programme stratégique totalement nouveau que de travailler à améliorer des systèmes existants. Ce sont eux qui travaillent activement à imaginer un avion répondant aux directives AOA.

Bujold ajoute : « Regardez comment ils s’approprient les directives AOA. Ils examinent avec soin ces directives, regardent comment faire pour y répondre, envisagent même comment modifier leur règles de production pour s’adapter mieux à la flexibilité de construction qui sera celle des avions NGAD (...) Ils en sont mêmes à étudier l’utilisation d’autres matériaux que le carbone. Boeing a d’ailleurs surpris son monde en annonçant qu’ils étaient d’accord pour construire un avion NGAD même si l’utilisation d’un tout nouveau matériau était décidée. »

Bizarrement, Lockheed estime toujours que les directives AOA sont compatibles avec la possibilité d’améliorer l’existant, précisément les F-35. Sans vouloir commenter sur le fond de cette annonce, Ruszkowski estime que c’est une vision plutôt étroite du NGAD.  Il déclare à ce propos : « Le F-35 va avoir une longue carrière au sein de l’USAF. Il sera là en 2030. D’ailleurs il connaitra sans aucun doute des améliorations, aboutissant à de nouvelles versions du F-35 (...) Mais la cellule du F-35 pourrait peut-être servir de base pour un avion d’un tout autre genre. Je pense que tout dépendra de ce qui va sortir de la réflexion actuelle dans le programme NGAD. »

Boeing tire aussi profit de son expertise en matière de systèmes équipant le F-22 Raptor et même ce qu’il développe pour la version modernisée dite Advanced Eagle de son F-15 pour entrer dans l’aventure du PCA. Les officiels de Boeing considèrent que certains développements de senseurs longue-distance que Boeing est en train de mettre au point pour son F-15 Advanced Eagle pourraient très bien entrer dans le cadre des directives PCA. L’offre de Boeing n’aurait sans doute pas le même « angle d’attaque » que l’offre de Lockheed,  mais il tirerait profit du travail déjà réalisé sur l’électronique de bord et les radars avancés mis au point pour l’Advanced Eagle.

Dernière modification par philouplaine (12-09-2017 21:38:27)