#1 [↑][↓]  20-06-2019 13:13:01

philouplaine
Copilote
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[Réel] ArchéoAéro - Ce que sera l'avion de ligne en 1950

Archéologie Aéronautique?
Qu’est-ce donc ? Comme en archéologie, on fouille ... dans les vieux numéros des revues spécialisées d'il y a 80-90-100 ans, pour dénicher des choses intéressantes (j'espère) à raconter ...




L’avion de ligne du futur en 1950, vu dans les années trente

Deux articles, l’un français et l’autre américain écrits tous deux dans les années trente, qui traitent de ce à quoi ressemblera un avion de ligne en 1950.

Chers amis,

Ah je vous vois sourire ... quelle pouvait bien être la vision des spécialistes de l’aviation dans les années 1930 quand ils se mettaient à rêvasser sur ce que pourrait bien être un avion de ligne en 1950... Songez que l’avènement du DC-3 était encore tout récent. Ce changement de modèle d’avion avait déjà été une profonde révolution par rapport aux trimoteurs Ford que les "Douglas Commercial" avaient remplacés. Je vous présente ici non pas un mais deux articles sur l’anticipation de ce que sera un voyage aérien en 1950. Ils ont été rédigé chacun dans les années 1930 de part et d’autre de l’Atlantique.

Le premier a été publié dans un hebdomadaire français de vulgarisation scientifique de l’Entre-Deux-Guerres : la revue Science & Monde. Une sorte de Science et Vie de l’époque. Je vous le restitue tel quel. Vous verrez ainsi comment un ingénieur aéronautique français du début des années trente se représente un voyage aérien de Paris à New York en 1950 ... et comment le voyageur de 1950 peut faire l’aller-retour dans la même journée. Cet article a de fort relents à la "Jules Verne", avec des éclairs de lucidité étonnants (notamment avec le Traceur de Route et le vol par réaction par exemple) mais avec d’étonnants clichés Verniens comme des pistes d’atterrissage liquides, des ailes à envergure variable, et des moteurs où la réaction à l’expulsion des gaz chauds sert à faire tourner ... des grandes hélices ... dans lesquelles le lecteur enthousiaste pourra peut-être voir la préfiguration des soufflantes des réacteurs à double-flux.

Le second article vient de l’autre côté de l’Atlantique, il a été publié dans le mensuel spécialisé dans l’aéronautique : Flying & Popular Aviation. Je vous l’ai traduit. Il a été aussi écrit par un ingénieur aéronautique mais pas n’importe qui ! Il s’agit ici du grand Hall Hibbard, l’ingénieur en chef de Lockheed, celui-là même qui dirigeait les ingénieurs de Lockheed qui conçurent les Véga, P-38 Lightning et autres Constellation.

C’est, à mon sens, très intéressant de confronter les deux visions. L’une, la française, est encore très attachée à la réalité de 1931; avec notamment son concept d’hélice autopropulsive, l’auteur touche du doigt l’impact futur du moteur à réaction mais ne peut pas se détacher de la réalité des moteurs à hélice. L’autre, l’américaine, est celle d’un constructeur d’avion, du chef des Skunk Works chez Lockheed qui déjà, au moment où il écrit cet article, travaille au futur quadrimoteur Lockheed Constellation. Enfin, ces deux articles ont été écrits à presque dix ans d’intervalle. Le premier article a été publié à la fin de 1931, donc près de vingt ans avant 1950. Le saut conceptuel que l’auteur doit, ici, franchir n’est pas petit. Le second article, celui de l’américain, a été écrit en 1939, soit une petite dizaine d’années seulement avant l’époque censée être décrite.

Bonne lecture!
Philippe




PREMIER ARTICLE
paru dans la revue hebdomadaire française SCIENCE & MONDE du 15 octobre 1931



Couverture du magazine

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Avant-propos de Science & Monde
Comment nous voyons l’avenir du voyage aérien à travers les tendances de la science actuelle.

Les conquêtes que la science réalise chaque jour, dans tous les domaines, laissent entrevoir des possibilités futures que l’imagination la plus vagabonde n’aurait pas osé envisager il y a seulement vingt ans. Les romans de Jules Verne, publiées de 1870 à 1880, paraissaient alors absolument irréalisables et totalement dépourvus de ce que l’écrivain Paul Bourget, de l’Académie, considère comme la première qualité d’un roman : la crédibilité.

Et cependant, quelques cinquante à peine après Jules Verne, combien de ces anticipations « incroyables », comme l’on disait, sont devenues des réalités concrètes. Aujourd’hui nous commençons à voir clair. En conciliant les hardiesses de l’imagination et les principes scientifiques désormais indiscutables, il est possible d’esquisser, avec plus ou moins de bonheur certes, les grands traits que prendra la technique humaine d’ici à la fin de ce siècle.

Nous avons demandé à Monsieur Jean Labadié de tracer ici quelques-unes de ces esquisses du futur dans le domaine des déplacements en avion. L’actualité nous commandait en effet d’envisager le voyage aérien du futur qui sera ultra-rapide dans la haute atmosphère. Dès maintenant, on sait en effet que certains constructeurs étrangers se préparent après que Messieurs Bréguet, Michelin et Blériot en eurent, les premiers en France, indiqué la possibilité.

Voici donc le récit d’un voyage de Paris à New York par la stratosphère, vers l’an de grâce 1950.

En-tête de l’article : Un voyage stratosphérique en 1950 : le départ de l’avion-fusée Paris – New York sur son hélice automotrice et ses fusées de démarrage.

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Paris – New York en l’an 1950
par Jean Labadié
Ingénieur aéronautique.


Comme tout progrès technique important, celui que vient d’inaugurer la compagnie AéroTransat et qui nous a permis d’accomplir hier cette belle performance : l’aller-retour Paris-New York dans la même journée, consiste en un perfectionnement somme toute assez simple d’une technique déjà existante. C’est même, nous allons le voir, une sorte de retour à la mécanique du passé qui permet d’éviter, désormais, l’énorme gaspillage de carburant jusqu’ici nécessaire à ces engins de luxe pour atteindre leur altitude de croisière, dans la stratosphère.

Parmi les millions de voyageurs qui ont aujourd’hui l’habitude des services aériens ultra-rapides, il n’en est pas un qui n’ait pesté contre le fait que l’express de l’AéroTransat crache beaucoup plus de feu durant la première demi-heure du trajet, entre Paris et Le Havre, que sur le reste de la traversée. Quel gaspillage, vraiment ! Sans compter qu’on n’avance pas au cours de ces trente premières minutes où l’on croirait voyager dans une de ces guimbardes volantes de 1930 dont, seuls, les plus anciens d’entre nous ont encore quelques souvenirs tandis que le jeunes n’en ont, eux, aucune idée.

Il ne semblait pas qu’il y eut d’autres remèdes à cette pénible mise en route que celui consistant à établir des tuyères spéciales au démarrage de l’aérobus-fusée de l’AéroTransat. Mais, dans les basses couches de l’atmosphère, la réaction du véhicule sur l’expulsion des gaz de combustion sera toujours défectueuse puisque le rendement moteur du réacteur dépend essentiellement de la vitesse acquise par le véhicule relativement à la vitesse d’échappement de ces gaz. Or ce n’est que vers 25 000 mètres que l’avion-fusée peut atteindre, dans cet air raréfié, les 400 mètres par seconde (NdT : soit une vitesse de 1 440 km/h ; pourquoi l’auteur insiste-t-il ici cette valeur très précise ?), soit le quart environ de la vitesse d’éjection des gaz grâce auquel le régime se maintient à un rendement viable économiquement pour la compagnie aérienne.

Bref, il suffisait de 50 litres de carburant aux 1 000 CV des moteurs-réacteurs de l’aérobus pour réaliser la traversée de l’Atlantique avec 20 passagers à bord. Malheureusement, la seule montée à 25 000 m coûte trois fois cette charge de combustible, sans parler de l’oxygène liquide utilisé pour la suralimentation des brûleurs du moteur, dont la presque totalité est dépensée au cours de l’ascension. Tout cela sera changé désormais.

Voici les impressions techniques que je rapporte de ma petite escapade à New York dans le nouvel appareil stratosphérique.

L’APPAREIL

Quand nous arrivâmes au Bourget, nous eûmes dès l’abord quelque peine à reconnaître dans l’avion qui nous attendait un modèle différent des aérobus du service courant des années précédentes. Comme eux, il avait des hélices, et comme eux de longues ailes extensibles à surface variable selon le modèle qu’avait inauguré Mr. Makhonine (NdT - Yvan Makhonine 1885-1973) au début des années 1930. Comme les anciens aérobus, notre nouvel avion prenait aussi son envol sur la grande piste d’eau du Bourget où, pour le moment, il nous attendait en flottant calmement sur les coussins de ses hydroglisseurs pneumatiques qui, sitôt après l’envol, seraient dégonflés automatiquement et escamotés dans le fuselage.


Plan 3-vues du prototype d’avion Makhonine Mak-10 à ailes extensibles. On voit bien l'extension que peuvent pren,dre les ailes en envergure en vol.
Premier vol le 11 août 1931.

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Le Mak. 10 photographié à Villacoublay en 1931.

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Toutefois, de la cabine du pilote, où je pus m’asseoir par une faveur spéciale d’AéroTransat, nous pûmes nous rendre compte, une fois à bord, qu’il n’y avait plus les turbines à transmission hydrauliques ordinairement appliquées au système propulseur comme sur les anciens aérobus. Sur ce nouvel avion-fusée, les hélices frappent l’imagination par leur apparence vraiment massive. La raison en est simple, elles sont elles-mêmes un turboréacteur. Chaque pale de ces hélices est creuse et comporte à ses extrémités un chapelet de fines tuyères latérales en cristal sur son bord de fuite qui font ressembler ces hélices aux tentacules grandes ouvertes d’une pieuvre qui seraient hérissés de ventouses en diamant.

L'hélice turbopropulsive fabrique directement ses gaz propulsifs par la combustion interne du carburant dans le ventre même de chaque pale, carburant y étant conduit depuis les réservoirs des ailes par une conduite souple passant par l’axe de l’hélice grâce à des joints souples étanches. Les gaz s’échappent tangentiellement aux pales assurant ainsi, toujours par le phénomène de la réaction, la rotation de l’hélice dont les pales sont très longues pour fournir une grande vitesse périphérique sans trop diminuer la force de traction. En effet, il faut s’en tenir à une rotation modérée dans les basses couches de l’atmosphère. Le pas de l’hélice est modifié graduellement en fonction du travail à réaliser dans des couches d’air de densités différentes.

Cette hélice automotrice n’a pu être usinée qu’en utilisant les plus récents alliages au silicium (NdT - L’auteur fait ici peut-être référence aux alliages aluminium-silicium ?). On envisage même leur fabrication en silice pure fondue et armée. Ces alliages au silicium sont les seuls qui peuvent supporter les températures de 1 000 à 1 200 degrés des turbines à combustion interne placées dans les pales de l’hélice.

Mais le propre de l’invention consiste en ce que le constructeur a su, par le profil donné à l’engin, sacrifier juste assez de la puissance propulsive pour que son rendement moteur demeure acceptable. Et c’est là, d’ailleurs, tout le problème de l’avion-fusée ; ne faut-il pas à un certain moment renoncer à gagner de l’altitude afin de garder le contact avec une atmosphère extérieure assez dense pour soutenir encore la voilure, quitte à limiter le rendement des tuyères fusantes, lequel serait maximum dans le vide parfait. Certains théoriciens pensaient, vers 1930, que le vide interplanétaire ne serait pas inviolable à des fusées indéfiniment accélérées.

C’est aux environs de 25 000 m (NdT – Soient 82 000 pieds, l’altitude de croisière du Concorde était le FL600) que s’établit l’équilibre optimal entre les exigences du vol et les exigences du moteur à réaction, du moins pour un avion de transport de passagers (NdT – Aucune information sur quoi est basée cette affirmation).

La Société Espault-Pelterie (NdT - Robert Esnault-Pelterie (1881-1957) est un ingénieur aéronautique et inventeur français. On lui doit notamment les inventions de l'aileron (1905) et du manche à balai (1906) ainsi que le développement du moteur en étoile. En 1907, il est le premier à faire voler un avion monoplan à structure métallique. Il figure aussi parmi les pionniers de l'astronautique. En 1930, il publie L'Astronautique où il vulgarise le concept de vol spatial), qui est en train d’adapter la fusée au courrier postal sans passagers, peut en effet imposer à ses véhicules des accélérations beaucoup plus vives et des trajectoires de vol relevant de la balistique des artilleurs plus que de l’aviation. Ce ne peut être notre cas.

LE DEPART

Nous voici donc installés à côté du pilote, un ingénieur breveté de l’Ecole AéroPolytechnique qui est aussi l’un des concepteurs du nouvel aérobus.

Le pilote dispose pour le voyage de 400 kg de carburant et autant d’oxygène liquide (NdT - 400 kg de carburant représentent 506 litres de kérosène pour transporter 20 passagers de Paris à New York ... L’auteur me parait ici formidablement irréaliste. Je rappellerai juste que pour un vol Paris – New York, un Airbus A380 d’Air France pour déplacer ses 278 tonnes et ses 516 passagers (poids total 575 tonnes) consomme environ 106 000 litres de kérosène ... L’aérobus transporte 20 passagers seulement, on peut penser que c’est donc un petit avion d’une quinzaine de tonnes  ... on peut estimer qu’il lui faudrait de l’ordre de 3 000 à 4 000 litres de kérosène au mieux, on est loin des 500 litres de cet article). L’oxygène liquide embarqué n’est destiné qu’à une fonction d’appoint ; l’oxygène atmosphérique intervenant seul dans les brûleurs des réacteurs où il s’engouffre par une série de trompes dès que le vent de la course de l’avion est suffisante. Il existe également à bord un réservoir d’eau.

Les brûleurs sont allumés, leur gaz d’échappement sont chargés en vapeur d’eau par un dispositif d’injection. L’hélice tourne et atteint bientôt son régime de 2500 tours par minute. L’ensemble moteur se trouve soulagé parce que, par condensation de la vapeur d’eau des gaz d’échappement, le degré de la masse gazeuse à la sortie des tuyères s’abaisse (NdT - difficile de comprendre le raisonnement de l’auteur ici ?).

Le pilote juge alors la traction réalisée suffisante, le signal du départ est donné. Aussitôt, l’aérobus s’élance. Au bout de 100 mètres parcourus sur le plan liquide, le pilote déclenche les fusées d’appoint. Le barographe marque très vite 500 mètres. Sous l’avion cabré à 40°, les glisseurs sont dégonflés et escamotés, les tuyères ronflent de plus  belle. Puis, vers 2 000 m, le pilote coupe les tuyères qui se taisent. La turbine-hélice continue seule le travail, quasi-silencieuse. Le pilote enclenche alors le rétrécissement progressif des ailes.

Nous voici à 5 000 m, la rotation de l’hélice-turbine s’accélère d’elle-même et son rendement moteur croît dans le vide relatif déjà sensible à cette altitude. La vitesse augmente. Ce processus continue jusqu’à ce que le barographe marque 10 000 mètres. La réserve d’eau pour l’injection dans les gaz d’échappement des turbines est épuisée. Il est temps de ne plus accélérer la rotation de l’hélice, elle a atteint une valeur maximale. Tourner plus vite la ferait voler en éclats.

Le pilote coupe alors les gaz à l’avant et accentue leur expulsion vers les tuyères propulsives qu’ils venaient tout juste de réamorcer. Aussitôt, nous ressentons l’accélération consécutive à cette manœuvre. L’indicateur de vitesse grimpe à vue d’œil : 100 m/s, 150 m/s, 200 m/s. Nous faisons du 720 kilomètres à l’heure et nous sommes à 12 000 m d’altitude. Prudemment, le pilote modère le cabrage de l’appareil afin de prendre l’inclinaison optimale à ces vitesses que commande la courbe d’ascension calculée au sol pour la meilleure utilisation du carburant.

Cette courbe s’aplatit à mesure qu’on s’élève. Autrement dit, le régime de route doit être absorbé maintenant dans une progression adoucie, nous n’avons plus intérêt à continuer le gaspillage de l’énergie disponible à bord comme nous l’avons fait dans cette première partie du vol. La vitesse horaire de notre avion qui, maintenant, avoisine les 1 000 km/h est de l’ordre économique commercial. Il n’est que de la laisser croître tranquillement, en pente douce, comme notre altitude de vol.

Ayant réglé les manettes, le pilote se relâche un peu et étire ses bras, il allume une cigarette. Nous sommes en route dans la stratosphère, à 18 000 m d’altitude. Aucun incident aérien, aucun coup de tabac n’est à redouter à cette altitude. Le fuselage métallique de l’aérobus, poli à l’extérieur, renvoie fort heureusement au soleil la plus grande partie de son rayonnement. Néanmoins, la chaleur dans la cabine augmente sensiblement. Le pilote enclenche une manette, une petite trappe s’ouvre à l’arrière de la cabine qui lâche un filet d’oxygène liquide, tandis que notre course vertigineuse suffit à accumuler l’air extérieur, raréfié et froid, par des petites entrées en forme d’entonnoirs pratiquées à l’avant du fuselage. C’est cet air froid, compressé dans les entonnoirs par la vitesse de notre avion, qui est injecté dans la cabine des passagers y maintenant ainsi une pression intérieure suffisante et une température agréable.

Les brûleurs des moteurs sont alimentés par le même principe. Nous sommes à 20 000 m d’altitude et nous filons à 1 500 km/h. La suralimentation des brûleurs devient elle-même inutile. Sans doute, à cette altitude, l’air extérieur contient un peu moins d’un cinquième d’oxygène au lieu d’un quart à terre (NdT C’est une erreur ! On sait aujourd’hui que la proportion en oxygène de l’atmosphère est de 21% quelle que soit l’altitude ; seule la densité de l’atmosphère diminue avec l’altitude, pas sa composition). Mais, précisément, dans le rendement actuel des tuyères, la masse d’azote inerte joue un rôle positif en alourdissant les gaz expulsés. L’impulsion des réacteurs n’a plus besoin d’être aussi violente que dans la phase d’ascension.

LE VOYAGE

Et maintenant, notre voyage n’est plus qu’un glissement sans aucuns à-coups que le ronron des brûleurs souligne seulement d’une note basse continue, très amorti dans la cabine.

L’attention du pilote est détendue. Je crois pouvoir lui adresser la parole :
-    Où sommes-nous ?
-    Nous venons de passer la pointe de la Cornouailles, me répond-il, nous sommes partis depuis 35 minutes. Je suis actuellement la route orthodromique que tracent le radiophare du Cap Finistère et celui de l’East End comme vous le voyez ici sur le cadran du radiodrome de bord.
-    C’est fort heureux ! Car il est bien impossible de distinguer d’ici la terre de la mer et les deux du ciel où nous sommes perdus.
-    En somme, conclut le pilote, comme vous l’avez constaté, toute la difficulté réside dans la mise en route de l’aérobus. L’hélice-turbine est la clef. Nous pourrions maintenant faire sans problème le tour du monde sans que je touche aux commandes si nous avions 2 tonnes de carburant au lieu des vingt bonshommes qui, à l’étage au-dessous, font un bridge, fument leur havane et apprécient leur porto ou leur whisky.

Le pilote me montre le barographe qui indique maintenant 25 000 mètres. Notre vitesse est de 2 000 km/h. L’avion-fusée a pris de lui-même son plafond et sa vitesse d’équilibre aérothermodynamique. Il ne peut aller plus vite, les brûleurs sont à leur régime optimum et il serait insensé de consommer un seul litre supplémentaire de carburant pour le seul plaisir d’une accélération qui, d’ailleurs, pourrait compromettre la sécurité du voyage.

Deux heures après le survol de la pointe de Cornouailles, le traceur de route (basé sur le système William Loth) maintenant accordé sur les radiophares d’Anticosti et des Bermudes, nous invite à préparer notre descente sur New York. Aussitôt, le pilote réduit la consommation de l’avion et entame un piqué léger vers la terre (NdT – Quel est donc ce système Loth ? Arthur William Loth (1888-1957) est un savant français à l'origine en 1920 d'une invention d’aide à la navigation pour l'aviation qui porte son nom. Le principe fondamental du guidage de Loth repose sur un champ magnétique généré par un courant alternatif à haute fréquence dans un câble enterré au sol et dont la direction indique le cap à suivre pour les avions. Il est alors possible de détecter ce champ à bord d'un aéronef équipé d'un instrument adapté, jusqu'à une altitude de 10 000 pieds par rapport au dispositif émetteur, et autorisait une distance latérale d'environ 1 mile. Le guidage n'était cependant optimal qu'en dessous d'environ 5 000 pieds. Ainsi, le pilote pouvait déterminer la position de l'avion par rapport au câble et par conséquent son cap. Ce système n’a jamais été adopté car beaucoup trop compliqué et peu fiable. De plus, on voit mal un tel câble posé sur la mer...)

L’ARRIVEE

Devant nous, la terre précise sa dentelle sur le bord de l’Atlantique formant comme une carte marine largement déployée sous nos pieds, grâce au temps exceptionnellement clair à notre altitude de vol, nous approchons les 20 000 m.

L’aérobus ralentit progressivement son allure. Automatiquement, grâce au système Constantin de girouettes stabilisatrices, l’avion règle seul son incidence en fonction de la densité croissante de l’air (NdT – Le système des girouettes stabilisatrices de Constantin ??? Je n’ai trouvé aucune info là-dessus, si quelqu’un du forum a des infos, je suis preneur). Les ailes extensibles qui avaient été entièrement rentrées lors du vol dans la stratosphère, se déploient à nouveau petit à petit pour le vol plané de l’atterrissage. Le fameux gratte-ciel, fierté nationale des Etats-Unis, construit en 1945, l’Uncle Sam détache majestueusement ses 800 mètres de ciment juste devant nous, sur la foule de ses aînés devenus plus petits.

Le pilote, qui a repris le contrôle de commandes, nous dirige sur Lakehurst où pour toucher le sol les deux grosses hélices-turbines reprennent leur tourbillonnement. Enfin, nos hydroglisseurs pneumatiques, regonflés à l’oxygène liquide, sont redéployés et viennent au contact de la piste liquide d’atterrissage.

Notre chronomètre de bord marque midi douze, l’horloge de l’aéroport marque, elle, neuf heures douze. Les voyageurs en partance pour le vol de retour terminent leur petit-déjeuner, leur breakfast.

Le pilote me dit alors, avant que je descende : "C’est le gros inconvénient de gratter le soleil à la course. Jamais je ne m’habituerai à ce décalage des repas ... Fort heureusement, nous rentrerons dîner à Paris ce soir."

FIN du PREMIER ARTICLE




SECOND ARTICLE
Traduction de l'article paru dans la revue mensuelle américaine POPULAR AVIATION de décembre 1939



Couverture du Popular Aviation de Dacémbre 1939
Si vous êtes intéressé(e)s pour que je vous traduise l’article sur la disparition d’Amelia Earhart, faites-le moi savoir, merci !

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Airliner of 1950
L’avion de ligne en 1950
Par Hall L. Hibbard
Directeur Technique chez Lockheed Aircraft Corporation.



En-tête de l’article de Popular Aviation.
Traduction de la légende: Six moteurs, une centaine de passagers à bord, une vitesse de croisière de 500 km/h, et une altitude de vol de 30 000 pieds Voilà comment les ingénieurs aéronautiques américains envisagent l’avion de ligne avec lequel nous nous déplacerons dans dix ans !

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Nous sommes en janvier 1950 ... à bord d’un vol transcontinental. L’avion de 75 tonnes, tout en métal, développe son aile unique gracieuse arborant quatre peut-être même six moteurs. Il vole doucement à 30 000 pieds (9 200 m), bien au-dessus des orages de l’Arizona loin en-dessous. Il se déplace à près de 500 km/h vers sa destination, Los Angeles. Le commandant contacte par radio le contrôle au sol : « Vol 007 pour Burbank, altitude 30 000 pieds. Nous passons à la verticale de Kingman, Arizona. Tout va bien. Un petit défaut dans le moteur n°4, l’officier mécanicien s’en occupe. Nous arrivons dans 45 minutes.» En même temps que le pilote contacte le sol, un télétype de bord envoie un message automatique qui reprend les mêmes informations à destination du centre technique de la compagnie aérienne car, en 1950, tous les avions en vol seront en contact télétype permanent avec leur compagnie, envoyant des messages automatiques à intervalles réguliers.

Alors cet avion de ligne en 1950 ? Il aura des moteurs à cylindres en V à refroidissement liquide implantés dans l’aile avec un capot profilé avec l’aile. Chacun de ses moteurs ne développera pas moins de 4 000 CV (NdT – En 1939, le plus puissant moteur radial était le Pratt & Whitney R-2800 Double Wasp qui développait 2 000 CV). Ils seront tous directement accessibles en vol par un couloir aménagé dans l’aile dans lequel pourra se déplacer le mécanicien navigant. Les passagers auront la possibilité de contacter leurs amis au sol pendant le vol grâce à un téléphone de bord. Le train d’atterrissage de ce géant des airs sera totalement escamoté pendant le vol et sera de type tricycle. Plus de roulettes de queue en 1950 ! Les ailes, de type cantilever, apparaîtront comme petites par rapport à la taille de l’avion. C’est parce que les volets de courbures seront très grands et aménagés de sorte à se développer en plusieurs volets emboîtés les uns dans les autres si bien que l’aile avec ses volets rentrés semblera bien petite. Surtout, chose nouvelle, ces volets ne seront pas déployés qu’à l’atterrissage comme aujourd’hui, mais on les déploiera aussi mais partiellement au décollage pour qu’ils fournissent une portance supplémentaire et qu’ils servent ainsi à réduire la distance à franchir au sol avant la rotation de ce géant des airs. Les bagages seront entreposés dans une soute spéciale en-dessous du plancher de la cabine. Mais les bagages à main seront rangés au-dessus des sièges dans des compartiments individuels pour la commodité des passagers. Le passager pourra ainsi, à tout moment, avoir accès à certains de ses bagages, une nécessité pour des vols d’une dizaine d’heures. Lors de ces longs vols, les membres d’équipage auront la possibilité de se reposer dans des compartiments séparés de la cabine principale et situés dans les emplantures des ailes.

Cet avion de ligne de 1950 sera d’ailleurs très probablement proche d’une aile volante, où les passagers seront installés dans une cabine localisée dans l’emplanture des ailes, comme le montre déjà aujourd’hui la tendance dans les Bureaux d’Etudes. Bien sûr, tous les passagers en parleront entre eux de ce mystérieux et nouvel avion, l’aile volante, capable, dit-on, de faire voyager 200 passagers à près de 700 km/h ! Si, en 1950, une telle aile volante pour le transport en masse de passagers n’est pas encore construite, il est certain que les ingénieurs aéronautiques travailleront déjà sur sa maquette. Ces ailes volantes, dotées d’un train escamotable tricycle qui sera alors devenu banal en aviation, auront leur stabilité latérale assurée par le dièdre des ailes, leur stabilité longitudinale sera assurée par la ligne du profil des ailes, et le contrôle de direction sera assuré par des dérives de petite taille placée aux deux extrémités des ailes. A termes, on pourrait même envisager de supprimer ces dérives et les remplacer par des ailerons spéciaux à double ouverture, vers le haut et vers le bas, placés aux extrémités des ailes. Notez que je suis à peu près certain que la tendance actuelle se traduira en 1950 par la construction de prototypes d’ailes volantes géantes, et qu’il sera courant de voir une telle aile volante géante transporter des passagers vers 1960. C’est ma conviction.


Traduction de la légende : Un ingénieur de Lockheed teste en soufflerie le modèle d’une aile volante destinée au transport de passagers en masse. Les dérives sont situées aux extrémités des ailes. Les gouvernes de profondeur seront localisées aux extrémités des ailes sur le bord de fuite dans le prolongement des ailerons.

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Revenons à l’avion de ligne de 1950, encore d’un dessin classique : deux ailes, et des empennages avec une ou deux dérives à l’arrière du fuselage. Cet avion sera alors construit en série dans des lignes d’assemblage pas très différentes des actuelles. En revanche, vue la taille de l’avion, chaque ligne abritera beaucoup plus de postes de soudures et de rivetage que les lignes d’assemblage actuelles, les moules nécessaires à fabriquer les pièces seront bien plus grands que les actuels, et les machines-outils nécessaires seront elles aussi bien plus grandes. Les avantages pratiques apportés par le fait qu’on sait désormais dans l’aéronautique comment installer une ligne d’assemblage en série, seront dépassés par la complexité accrue de l’appareil géant à fabriquer alors. Les avions de ligne étant devenus plus grands, ils seront constitués de beaucoup plus de pièces et ne seront donc pas devenus moins chers à produire. Les constructeurs d’avion ne feront pas de plus gros bénéfices.

L’avion de ligne des années 1950 sera entièrement métallique, d’un alliage d’aluminium. On parle beaucoup aujourd’hui de l’utilisation de pièces moulées en plastique dans la fabrication des avions du futur, à la fois pour des éléments de leur fuselage et de leurs ailes. Le plastique peut être relativement rigide et, surtout, il est léger. Des éléments moulés en plastique seront très certainement utilisés dans la construction d’avion en 1950, mais uniquement, je pense, dans l’aviation légère. Pour l’avion de ligne de 1950, et ceux qui le suivront plus tard, ce sera le « tout métal », principalement pour des considérations de sécurité. Un avion tout métal est plus robuste et plus résistant, un point important pour des vols de plusieurs heures rencontrant des conditions météo très variables. Un avion tout métal est aussi plus résistant au feu. Grâce à des alliages plus légers et plus résistants que ceux d’aujourd’hui, l’avion de ligne de 1950 sera plus résistant pour un poids plus petit qu’un avion de même taille qui serait construit aujourd’hui. L’obstacle majeur à l’utilisation de pièces en plastique moulé pour la construction des ailes ou du fuselage est la difficulté de les entretoiser correctement. Cette difficulté n’existe pas pour des avions légers de quatre places. Or notre avion de ligne de1950, avec son fuselage allongé en forme de cigare, utilisera des entretoises.

Le vol stratosphérique sera si commun en 1950 que nos passagers n’y penseront même pas. C’est déjà d’ailleurs une réalité de l’aviation d’aujourd’hui. Chez Lockheed, nous travaillons au projet d’un avion de transport de passagers appelé EXCALIBUR, un avion quadrimoteur au fuselage scellé hermétiquement transportant 36 passagers (NdT - Le projet Excalibur ou Model 44 de Lockheed, lancé fin 1938 et annoncé en avril 1939, aboutira aux quadrimoteurs Constellation). La cabine de l’Excalibur sera pressurisée de sorte qu’il volera à 20 000 pieds (6 100 m) sans aucun désagrément pour les passagers qui respireront dans une cabine étanche où la pression sera maintenue identique à celle qu’on rencontre vers 6 000 pieds (1 800 m). L’avion de ligne de 1950 effectuera, lui, tout son vol de croisière d’Idlewild à Burbank à 30 000 pieds (9 100 m).


Dessin de l’Excalibur, le prédécesseur du Constellation dans le Bureau d’Etudes Lockheed.

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Il y a à peine un an, en 1938, la plupart des ingénieurs aéronautiques doutait encore de la possibilité proche, voire même de l’intérêt commercial qu’il y aurait à voler dans la stratosphère. La stratosphère était une zone très vaste et interdite sauf à de très rares avions spécialisés, en tout cas il était impensable d’y faire voler un avion de ligne. Comment par exemple adapter une soufflerie aux conditions, à peine connues d’ailleurs, de la stratosphère ? Les études que nous menons chez Lockheed ont montré que la pressurisation de la cabine d’un avion de ligne stratosphérique ne conduisait à l’alourdir que de 500 livres (227 kg), ce qui est bien peu par rapport aux 75 tonnes envisagées pour le poids d’un tel avion. Nos études montrent aussi un fait intéressant qui ne pouvait pas être prédit. La surface du fuselage externe est peinte, or une nouvelle peinture proposée depuis peu contient un nouveau composé chimique, le duprène (NdT – Le duprène est en fait le nom commercial à l’époque du néoprène, commercialisé par la Société DuPont au début de 1931). Nous avons montré, chez Lockheed, que, grâce au recouvrement des plaques de métal formant la coque du fuselage avec une peinture au duprène, les jointures des panneaux du fuselage sont rendues totalement étanches. Grâce à l’utilisation de joints en caoutchouc synthétique contenant du duprène, les portes ferment hermétiquement. Les hublots seront enchâssés dans le fuselage par des joints en caoutchouc, élastiques et très résistants, et leur verre sera bien plus épais. En effet la différence de pression entre l’extérieur et l’intérieur peut être comparée au poids total exercé par trois hommes qui se tiendraient sur une surface d’un pied carré (soient environ 2,4 tonnes par m2). Les nombreux problèmes techniques de la pressurisation sont en voie d’être résolus, et en 1950 la pressurisation ne sera plus un souci. Les passagers n’y prêteront aucune attention.

Les moteurs de cet avion de ligne qui perce le ciel de l’Arizona en 1950, seront profilés et intégrés presqu’entièrement à l’aile, au point qu’on les distinguera à peine de l’aile. Cela permettra de réduire leur traînée. Les moteurs en V seront retenus car ils offrent un meilleur profilage aérodynamique et une accessibilité en vol meilleure pour le mécanicien de bord. Les moteurs de l’avion du futur seront du modèle en V. Plus aucun avion ne volera avec des moteurs à piston en étoile (NdT – Erreur, jusqu’à la fin des avions commerciaux à moteurs à piston, les moteurs seront tous des moteurs à cylindres en étoile, jamais en V). Voilà maintenant dix ans que la bataille fait rage, chez les motoristes, entre les moteurs à cylindre en étoiles et les moteurs à cylindres en V. Je pense que cette bataille se terminera d’ici cinq ans, avec la victoire totale des moteurs en V. Pour leur puissance, la valeur de 4 000 CV en 1950 est totalement réaliste. Des motoristes d’ailleurs envisagent déjà de pouvoir fabriquer dans un avenir proche des moteurs qui développeront une puissance encore supérieure. 

Quand j’ai écrit que chacun des moteurs de l’avion de ligne en 1950 développera 4 000 CV, je n’ai pas choisi ce chiffre au hasard. Tout dépendra de la demande des constructeurs. Les motoristes se conforment déjà à la demande des constructeurs, ils continueront à le faire. Nous savons déjà aujourd’hui qu’un moteur développant une puissance de 4 000 CV est réalisable, en 1950 la limite sera très probablement une puissance de l’ordre de 10 000 CV (Note - Là, Mr. Hibbard se trompe dans les grandes longueurs. En 1950, les moteurs à piston les plus puissant seront tous équipés de 28 cylindres en double-étoile, aucun ne sera à cylindre en V ; et la puissance maximale atteinte sera celle du Pratt & Whitney Wasp Major R-4360 équipant les Boeing B-50 Superforteresse et les Convair B-36 Peacemaker qui développaient 4 300 CV et certainement pas 10 000 CV).

J’ai écrit que cet avion de ligne de 1950 serait équipé de 4 ou même de 6 moteurs. C’est parce qu’une condition très particulière existe dans l’industrie aéronautique. Construire un prototype nous prend en moyenne un an et demi entre les premières ébauches sur la planche à dessin d’un Bureau d’Etudes et la sortie d’usine du prototype. En revanche, pour le motoriste, construire un nouveau moteur prend non pas un an et demi mais trois ans. Du fait de ce décalage, quand nous commençons le développement d’un quadrimoteur, soit nous attendons un an et demi après que le prototype soit sorti d’usine sans ses moteurs que le motoriste nous livre le nouveau moteur, soit nous l’équipons avec les moteurs disponibles qui sont sous-dimensionnés. Du coup, au lieu d’en mettre quatre on en installe six. Dans une telle situation, il est probable qu’on commencerait à faire voler le prototype avec six moteurs au lieu de quatre et que, un an et demi plus tard, on reviendrait à un avion doté de quatre moteurs. Néanmoins, l’expérience de nos Bureaux d’Etude privilégie très nettement le quadrimoteur. Il est certain que les compagnies aériennes transcontinentales n’auront plus de bimoteur en usage sur leurs lignes en 1950. Les bimoteurs ne seront plus en service que sur les lignes secondaires. Les hélices utilisées ne seront pas différentes des actuelles, qui sont déjà très avancées techniquement.

Une nouveauté sur l’avion de 1950 sera la présence d’un petit moteur auxiliaire qui procurera l’indépendance énergétique de l’avion au sol. La radio, les lumières de bord, les instruments de vol, l’utilisation du train et des volets, seront sous une alimentation électrique indépendante pour chacun.  Le train tricycle avec roulette avant sera très commun en 1950. Ce train, d’ores et déjà utilisé sur le Douglas DC-4 et sur le Lockheed Vega Unitwin, plus connu sous le nom de Vega Starliner, s’est avéré être très pratique à l’utilisation et au pilotage, avec notamment une meilleure vue au sol pour les pilotes. En 1950, tous les avions seront équipés d’un train tricycle. Chez Lockheed, le modèle Excalibur en cours d’étude sera équipé d’un train tricycle. Ce type de train donne une grande stabilité au roulage, permet de freiner fortement à l’atterrissage sans risque que l’avion fasse un cheval de bois, et, surtout, permet un atterrissage par tous temps, y compris par fort vent de travers sans risque que l’avion quitte la piste. Autre nouveauté de cet avion de ligne en 1950, il utilisera un carburant à indice d’octane 100 au lieu de l’indice actuel de 87. Ce sera une transition obligée dans la mesure où le nouveau carburant, plus riche en octane, sera de bien meilleure qualité propulsive pour un même volume.

Une autre nouveauté qui sera installée sur cet avion de ligne de 1950, sur laquelle le Bureau d’Etudes de Lockheed travaille déjà, sont les fentes de bord d’attaque des ailes (leading-edge slots). Ces fentes, nombreuses et de petites tailles, sont alignées un peu à l’arrière du bord d’attaque des ailes avec une ouverture sur la face inférieure de l’aile. Leur profil conduit à ce que le flux d’air prélevé sur l’intrados ressort sur l’extrados où il vient s’ajouter au flux d’air repoussé au-dessus de l’aile par le bord d’attaque. Il en résulte, pour une surface portante égale, une meilleure portance. De plus, le système de ces fentes oblige des filets d’air à coller le dessus des ailerons, ce qui augmente leur accroche dans l’air, ce qui du même coup augmente leur efficacité sur le contrôle latéral de l’avion lors du décrochage et évite ainsi le risque de partir en vrille tout en diminuant la vitesse d’atterrissage.


Les fentes hypersustentatrices localisées sur le dessous du bord d’attaque des ailes, testées par Lockheed en 1939.

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Je prends même le pari que l’avion qui, en 1950, vous permettra de voler de New York à Burbank sera le même que celui qui vous permettra de voler de New-York à Londres. Oui le même avion terrestre ! Je suis très fermement convaincu que les hydravions lourds, lents et encombrants qui, actuellement, relient le Nouveau Monde à l’Ancien seront, dans dix ans, des objets de musée. Les hydravions ont grandi en taille bien plus vite que les avions terrestres pour deux raisons. La première c’est que les compagnies les utilisant voulaient des appareils capables de transporter simultanément une vingtaine de passagers dans un grand confort pour des vols de plusieurs jours au-delà des mers. Ces exigences étaient largement supérieures, il y a dix ans, à celles des compagnies aériennes terrestres. Souvenons-nous qu’il y a dix ans à peine, les avions terrestres ne transportaient que deux passagers. La seconde raison est que n’importe quel plan d’eau fournit une longueur de "piste" disponible pour l’hydravion bien plus longue que celle qui alors existait dans n’importe quel terrain d’aviation.

Mais depuis, la pratique a montré hélas trop souvent qu’à chaque fois où un hydravion tente d’amerrir sur une surface trop agitée, et bien qu’il soit conçu pour flotter, il se brise immédiatement et coule. Aucune machine complexe ne peut se poser à 135 km/h sur un plan d’eau agité et survivre au choc du coup de boutoir qui en résulte. Cela dit, ce raisonnement est vrai aussi pour un gros avion terrestre qui devrait amerrir lors de son voyage transocéanique. Et il faut bien voir qu’un avion terrestre avec son fuselage allongé et sa cabine étanche pourra amerrir en urgence sur une étendue d’eau calme aussi bien que le ferait un hydravion. Mon point de vue sur la disparition programmé des hydravions provient du fait que la sécurité d’un vol transocéanique ne repose pas, contrairement aux idées reçues, sur le fait qu’un avion peut flotter longtemps à la surface de l’océan. Un hydravion flottera bien lus longtemps qu’un avion terrestre qui n’a pas été conçu pour cela. Non, la sécurité du vol transocéanique dépend uniquement des moteurs et de leur fiabilité. Et, contrairement à l’avion de ligne terrestre de 1950, aucun hydravion ne peut présenter des moteurs facilement accessibles pour le mécanicien de bord, car souvent les moteurs des hydravions sont montés à l’extérieur sur les extrados des ailes. De ce fait, il n’est pas difficile de prédire avec une quasi-certitude la fin prochaine des hydravions pour le transport transocéanique des passagers.

Autre discussion très actuelle chez les ingénieurs aéronautique : la possibilité d’utiliser le fuselage comme une surface portante supplémentaire. Avec la taille des avions d’aujourd’hui, comme le DC-4, une telle idée est plus une illusion qu’autre chose. Surtout, on a montré en soufflerie qu’une telle tentative aboutirait à une situation où la portance des ailes et celle du fuselage amélioré ne se complémenteraient pas mais, au contraire, se contrarieraient mettant en péril la stabilité du vol. On en déduit donc immédiatement que les fuselages à section circulaire, comme on le connait aujourd’hui, seront toujours d’actualité en 1950. En revanche, tout cela changera avec les ailes volantes dans la mesure où le fuselage sera l’aile elle-même.

Pour le pilote en 1950, les instruments de bord qu’il verra seront très proches des actuels, très peu de changements sont à prévoir dans ce domaine. La seule différence qu’on peut légitimement envisager est qu’il y en aura plus ! D’abord parce que les ingénieurs motoristes et aéronautiques trouvent chaque année de nouvelles choses à mesurer dans les moteurs ou dans le fonctionnement des différentes surfaces manœuvrables d’un avion. Et qui dit mesure, dit capteurs. Qui dit plus de mesures à réaliser, dit plus de capteurs et, donc, plus d’instruments sur le tableau de bord. D’autres instruments et jauges que le pilote du futur aura sous les yeux seront ceux qui mesurent et permettent d’ajuster en permanence le confort des passagers : alarmes, chauffage et pressurisation de la cabine.

Comme le meilleur compromis aérodynamique d’un monoplan est celui de l’aile cantilever basse, l’avion de ligne de 1950 sera certainement ainsi conçu, simplement parce que le mouvement de l’avion se fait parfaitement parallèlement aux filets d’air incidents. Il en résulte une plus faible traînée. C’est ce que d’innombrables mesures en souffleries ont montré systématiquement. Le défaut de cette configuration en aile basse est que certains passagers ne voient plus le sol, la vue étant masquée par l’aile. Franchement, je pense qu’ils s’en ficheront parce qu’à 30 000 pieds, tout ce qu’il y a à voir dehors c’est du ciel bleu et des couches de nuages loin en-dessous. Ces passagers préféreront soit lire, soit manger à leur place, soit aller au bar de l’avion pour y fumer, discuter ou jouer aux cartes. Bien peu choisiront de regarder dehors un spectacle toujours identique.

Au fait quel sera le confort de cet avion en 1950 ? Tout d’abord la cabine sera plus spacieuse, on pourra s’y déplacer et s’y croiser. Les toilettes homme et femme seront séparées. Il y aura sans doute des suites spacieuses pour l’intimité des passagers fortunés. Pour les vols de nuit, les couchettes seront plus larges et le couchage sera de meilleure qualité que l’actuel, surtout pour la qualité des ressorts du lit. Le personnel de bord sera plus nombreux, fini l’hôtesse partagée entre 20 passagers. Deux des pires cauchemars d’un voyage en avion aujourd’hui auront totalement disparu. Le mal aux oreilles de tous les passagers, plus ou moins marqué selon les individus, qui est dû aux variations constantes de l’altitude de vol, aura disparu puisque l’avion du futur sera pressurisé à une pression atmosphérique constante pendant tout le vol. De même, les cahots constants associés au vol dans les basses couches de l’atmosphère auront totalement disparus puisque l’avion du futur volera à 30 000 pieds là où l’atmosphère est très calme, bien loin au-dessus des remous de l’atmosphère. Finis le mal d’oreille et les turbulences (NdT -  L’auteur ignorait les phases de dépressurisation et de repressurisation qui font aussi très mal aux oreilles de beaucoup de passagers, et  il ignorait, comme tous les autres, que même à 30 000 pieds on peut rencontrer de fortes turbulences). Les cabines seront très silencieuses, les moteurs seront pratiquement inaudibles. La fatigue du personnel de bord et des passagers sera diminuée du fait de la pressurisation de la cabine. Quand cet avion en 1950 arrivera à Burbank, les passagers seront beaucoup moins fatigués que les passagers d’aujourd’hui.

Quelles seront les améliorations de l’aide aux vols qu’on peut prévoir pour 1950 ? L’atterrissage aux instruments sera devenu un jeu d’enfant, ajoutant un important facteur de sécurité puisque la plupart des accidents d’avion ont lieu lors la phase d’atterrissage. Les problèmes actuels liés à l’électricité statique incontrôlée, auront alors disparus. Enfin, le vol aux hautes altitudes substratosphérique pourra, selon la direction du vol, bénéficier des vents très rapides qui circulent à ces altitudes, ce qui augmentera d’autant la vitesse-sol de l’appareil et diminuera d’autant la durée du vol par rapport aux vols actuels. Mais c’est là un problème opérationnel qui regarde plus l’exploitant que le constructeur.

Les pistes des aéroports devront être plus longues mais pas de beaucoup. La plupart des conceptions actuelles d’avions multimoteur lourds sur lesquels nos bureaux d’étude travaillent se contenteront, grâce aux fentes d’intrados et aux volets de courbure, des pistes en béton actuelles sans problème. Il faudra juste ajouter un peu de longueur de piste afin d’augmenter d’autant la sécurité des vols. Les terminaux des aéroports devront être plus grands afin d’accueillir le plus grand nombre de passagers de chaque vol, une chose est de traiter 20 passagers par vol, c’en est une autre d’en traiter 100.

J’ai envisagé une vitesse de croisière de près de 500 km/h pour notre avion de ligne en 1950, contre 330 km/h pour le bimoteur Douglas DC-3 ou 350 km/h pour le quadrimoteur Boeing 307 Stratoliner aujourd’hui. En fait, quand j’écris cela, je sens que je sous-estime un peu ce qui sera réalisé. Il est très probable que la vitesse des avions de ligne d’ici 10 ans atteindra plus les 650 km/h que les 500 (NdT - En fait, aucun quadrimoteur à piston n’a jamais atteint une vitesse de croisière de 650 km/h. Le plus rapide fut le DC-7 avec 600 km/h, suivi du Constellation avec 560 km/h). Du coup, l’avion de ligne qui survole en 1950 Kingman en Arizona pourra très facilement atterrir à Burbank non pas quarante-cinq minutes plus tard mais, tout simplement, une demi-heure plus tard. Passez de 500 à 650 km/h permettra de gagner près de deux heures sur un vol de New York à Burbank. Appréciable, non ?

Je ne pense pas que le rayon d’action des avions de ligne en 1950 sera très différent de celui des avions de ligne actuels. C’est possible cependant qu’un service de luxe sans escale entre New-York et Burbank existe en 1950 pour une catégorie particulière de passagers à gros revenus. Un tel vol de longue distance nécessiterait d’emporter plus de carburant au détriment donc de la charge marchande (NdT – Cette remarque se verra totalement contredite dans le développement du Lockheed Constellation. Quand Howard Hughes, nouveau propriétaire de la compagnie TWA, invita courant 1939, les ingénieurs de Lockheed pour qu’ils lui présentent le projet de l’Excalibur, il fut très déçu des performances médiocres de cet avion. Il prit un crayon, dessina lui-même une nouvelle ligne de fuselage pour un avion plus grand doté d’une triple dérive au lieu de la double de l’Excalibur. Surtout, il exigea que cet avion puisse relier les deux côtes des Etats-Unis sans escale. Le Lockheed Model 049, dit Constellation, était lancé).

J’ai peut-être été un peu pusillanime aussi pour le nombre de passagers donné dans le descriptif de l’en-tête de cet article. J’ai parlé de 100 passagers par avion, on peut raisonnablement envisager des avions de 149 passagers pour un poids maximal au décollage de 100 tonnes (NdT – Le choix de 149 passagers, et pas de 150 un chiffre rond, n’est pas à mon avis sans signification. L’auteur en effet me semble écrire ici un message peut-être subliminal avec ce « 049 », car la société Lockheed venait tout juste à cette date de décembre 1939 d’abandonner le projet du Modèle 44 Excalibur pour passer sous la pression de Howard Hugues au projet Modèle 149, le futur Constellation ... Peut-être, hall Hibbard était obsédé par ce chiffre de 149 au point de l’écrire dans cet article). Le saut technologique pour passer des 14 tonnes d’un avion de ligne d’aujourd’hui aux 100 tonnes de l’avion de ligne de 1950 peut sembler un saut gigantesque. Mais, tout bien considéré, ce n’est pas un saut plus grand que celui qui a permis de passer du petit avion de transport biplan des années 1920 qui transportait deux passagers aux 25 passagers du Douglas D-3 d’aujourd’hui et aux 40 passagers prévus pour le DC-4 ou pour le Lockheed Excalibur.

L’expérience acquise dans tous les bureaux d’étude des constructeurs aéronautiques montre que l’accroissement de la taille d’un avion ne se fait jamais au détriment de son efficacité. En fait, on constate même plutôt l’inverse, un accroissement de la taille aboutit à une augmentation de l’efficacité de l’avion. Cette dernière constatation n’était pas valide bien sûr à l’époque glorieuse des avions en bois entoilé, c’est le tout-métal qui a permis cela. Que l’avion de ligne du futur transporte 100 ou 150 passagers dépendra en fait plus des besoins de l’exploitant que des possibilités du constructeur. Attendons de voir ce que voudra la compagnie aérienne exploitante. Nos possibilités en fait sont désormais immenses. En 1950, l’aménagement intérieur de votre avion de ligne aura été décidé par l’exploitant, mais il dépendra aussi des passagers et de l’utilisation qu’ils feront de l’avion ! Si vous vous déplacez souvent, si vous vous déplacez sur de courtes ou de longues distances, si la vitesse est importante ou non pour vous, si vous voulez vous déplacez dans un confort maximal ou pas. Il est déjà certain que vous aurez ce que vous demanderez ! Et nous, les ingénieurs des bureaux d’étude, nous ferons en sorte construire ce que vous aurez demandé.

FIN DE CET ARTICLE


De gauche à droite, l’auteur de l’article, Hall Hibbard, directeur technique Lockheed, Cyril Chappelet, directeur administratif Lockheed, et Marshall Headle, Chef pilote d’essai Lockheed.

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Une publicité pour Lockheed parue dans le même numéro de Popular Aviation que l’article de Hall Hibbard : celui de décembre 1939.

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ouaf ouaf ! bon toutou !!

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#2 [↑][↓]  20-06-2019 15:16:09

CHURCHILL
Copilote
Lieu: LFNR (13)
Date d'inscription: 26-02-2012
Renommée :   

Re: [Réel] ArchéoAéro - Ce que sera l'avion de ligne en 1950

Sacré travail de traduction ... je vais lire tout ça ce soir ... e_Clown

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#3 [↑][↓]  20-06-2019 15:26:02

NEPTUNE6P2V7
Pilote Virtuel
Membre donateur
Date d'inscription: 26-08-2009
Renommée :   116 

Re: [Réel] ArchéoAéro - Ce que sera l'avion de ligne en 1950

Ba bA ba..!  ça c'est de l'article .. eusa_clap


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#4 [↑][↓]  20-06-2019 18:41:40

Henry
Copilote
Lieu: Côtes d'Armor
Date d'inscription: 19-11-2010

Re: [Réel] ArchéoAéro - Ce que sera l'avion de ligne en 1950

Merci pour ces articles très intéressants eusa_clap


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