#1 [↑][↓] 27-09-2023 20:31:37

philouplaine
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[Réel] GéopAéro - La Chine met un pied sur le continent américain?

GéopAéro … Qu’est-ce donc ? Dénicher (et traduire pour vous) dans les revues internationales, surtout américaines, des articles qui montrent bien l’importance de l’élément aéronautique dans les grands problèmes de géopolitique actuels, pour dénicher des choses intéressantes (j'espère) à raconter ...


Bonjour chers amis,
Ah ? Voilà peut-être la réponse du berger à la bergère ?
Nous savons tous que l’USAF effectue très fréquemment des vols en mer de Chine méridionale qui ont le don de titiller (exaspérer ?) les Chinois. Mais voilà, et c’est très nouveau, que les Chinois essaient d’entrer sur le marché sud-américain des chasseurs de nouvelle génération, en Argentine très précisément. Ils y rencontrent donc de face les intérêts militaires des Etats-Unis qui considèrent cette région du monde comme leur chasse gardée. Et donc voilà les chinois qui viennent à leur tour titiller les Américains dans leur pré carré… Intéressant, non ?
Je vous ai traduit ce court et récent article paru hier dans Breaking Defense. J’ai pensé que cette information pourrait vous intéresser.
Bonne lecture !
Philippe




POUR EQUIPER L’ARMEE DE L’AIR ARGENTINE AVEC DES CHASSEURS DE NOUVELLE GENERATION, WASHINGTON ET PEKIN SE BATTENT POUR L'INFLUENCE REGIONALE

Le commandant du Southern Command de l’USAF (USAF-SOUTHCOM), le général quatre-étoiles Laura Jane Richardson, l'a clairement exprimé en déclarant que les investissements chinois dans la région signifient que Pékin veut se placer "sur la ligne des 20 yards de notre patrie".

Par Reuben Johnson, Breaking Defense, 25 septembre 2023

(NdT – L’expression "on the 20-yard line" est typiquement américaine et vient du football américain. Dans un camp, la ligne des 20 yards (approx. 20 m) marque ce qu’on appelle la "zone rouge" (red zone) qui est séparée de la ligne de marquage du but par seulement 20 yards. Toute action du camp ennemi dans cette zone est considérée comme très dangereuse pour le camp attaqué. Par extension, en jargon US dire que ceci est dans la 20-yard line, signifie qu’il y a un grand danger pour son camp. Madame Laura Jane Richardson est un général quatre étoiles de l'armée américaine qui est le commandant du United States Southern Command depuis le 29 octobre 2021).


Article original en Anglais


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Photo prise le 9 novembre 2022 montrant l'avion de combat Chengdu JF-17 Xiaolong ou "Dragon féroce" (Thunder pour l’OTAN), un avion d'entraînement biplace, au salon aéronautique de Zhuhai, dans la province de Guangdong, en Chine. © CFOTO via Getty Images


Ft. LAUDERDALE, Floride - La lutte d'influence mondiale entre les États-Unis et la République populaire de Chine est très discrètement arrivée jusque dans l'arrière-cour des États-Unis. En effet, Washington tente actuellement de repousser Pékin en établissant une relation militaire importante avec l'Argentine.

Comme c'est souvent le cas entre les grandes puissances, la compétition se joue sur une décision industrielle en matière de défense : Il s'agit de savoir si Buenos Aires achètera des F-16 A/B Fighting Falcons danois d'occasion ou des avions Chengdu JF-17 Thunder Block Three, la dernière version construite par la Chine.

La Fuerza Aérea Argentina (armée de l'air argentine ou FAA) avait évalué trois options pour son prochain avion de combat, dont l'une était l'avion de combat léger Tejas (LCA) construit en Inde. Toutefois, les dernières informations récoltées sur place indiquent que le LCA a été éliminé de la compétition. Selon le quotidien national La Nacion, la décision revient de fait à une équipe d'experts argentins de la défense, qui a analysé toutes les alternatives présentées pour la modernisation de leurs forces armées aériennes.

Parallèlement, de nombreux médias argentins affirment que Washington fait pression sur Buenos Aires pour qu'elle choisisse le F-16 afin d'empêcher la Chine d'étendre sa présence sur le continent américain en Amérique latine.

La crainte de voir la Chine accroître sa présence en Amérique latine n'est pas un secret. En août, le chef du commandement sud des États-Unis, le général Laura Richardson, l'a clairement exprimé en déclarant que les investissements chinois dans la région signifiaient que Pékin se trouvait "dans la ligne des 20-yard de notre territoire, ou nous pourrions dire qu'ils se trouvent sur la première et la deuxième chaîne de défense de notre territoire du fait de la proximité de cette région".
"Il n'y a pas encore de base chinoise dans cette partie du monde … pour l’instant. Mais je pense qu'avec tous ces investissements dans des infrastructures essentielles", a ajouté le général Richardson, "il est possible qu'il y en ait une un jour".

Fin juillet, il a été signalé que le DSCA avait adressé au Congrès américain une notification autorisant le transfert à l'Argentine de six F-16 Block 10 et de 32 F-16 danois Block 15, pour une valeur totale estimée à 338 millions de dollars. Bien que ces appareils danois soient des F-16A/B, des versions plus anciennes que ceux actuellement fabriqués par Lockheed Martin, ils ont tous subi une mise à niveau les configurant comme les F-16 C/D sortis en 2005 (NdT – La DSCA ou Defense Security Cooperation Agency, qui fait partie du ministère de la défense des États-Unis, fournit une assistance financière et technique pour le transfert, la formation de matériel militaire américain aux alliés, et contrôle ce que font de ces matériels les alliés une fois qu’ils les ont reçu).

Des fonctionnaires du département d'État américain ont confirmé que le transfert vers l'Argentine avait été autorisé, mais sans préciser de chiffres. Les notifications de la DSCA présentent généralement un "plafond" pour l'acquisition totale du programme sur plusieurs achats et ne représentent pas la quantité totale achetée, ce qui signifie que les chiffres rapportés peuvent ne pas être définitifs.

La Nacion écrivait en juillet, "En conséquence, tout achat d'armes implique un engagement politique avec le pays auquel ces armes sont achetées et, du même coup, avec ceux à qui cet achat tourne le dos". Selon les multiples rapports et diverses sources proches du dossier, le gouvernement argentin et les États-Unis devront résoudre de nombreux points délicats pour régler la question des F-16 à la satisfaction de tous.

Le facteur Chengdu

La motivation évidente pour inciter Buenos Aires à devenir le deuxième client sud-américain du F-16 après le Chili est de "maintenir toute présence militaire de la Chine en dehors du continent américain". Un expert militaire du département de la défense américain spécialiste du continent sud-américain qui a souhaité rester anonyme, nous a déclaré : "La raison pour laquelle l'offre américaine de F-16 fait l'objet d'une promotion si agressive est tout simplement de mettre fin à l’offre chinoise du JF-17 ".

Le JF-17 a été conçu par la Chengdu Aircraft Corporation (CAC) dans la province du Sichuan, où il a d’abord été désigné FC-1. La configuration particulière de l'entrée d'air de l'avion est le fruit d'un projet de longue date visant à créer un dérivé avancé du J-7 de la CAC qui était une copie du MiG-21 obtenue par rétro-ingénierie à l’époque qui fit son premier vol en 1966.


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Deux chasseurs Chengdu J-7 des forces aériennes de l’Armée Populaire de Libération. © avionslegendaires.net


Dans le cadre de la coopération historique entre la Chine et le Pakistan, une ligne de production du JF-17, rebaptisé sur place "Joint Fighter", a été mise en place au Pakistan à Kamra. Sa conception finale diffère considérablement des concepts proposés à l'origine par l'utilisation d'une électronique embarquée étrangère et d'un réacteur russe, le NPO Klimov Isotov RD-93MA, au lieu du moteur chinois d’origine, le Guizhou WS-13. Le réacteur Klimov RD-93, à l’origine développée pour les JF-17 pakistanais, est une version plus puissantedérivée du réacteur RD-33 qui équipe les MiG-29. La principale différence entre les deux versions du Klimov est la boîte à engrenages qui, dans le RD-93, est repositionnée le long du bas du carénage du réacteur (NdT - Il semblerait que pour le RD-93, l’augmentation de poussée par rapport au RD-33 de base ait fait chuter la durée de vie opérationnelle du RD-93, passant des 4 000 heures pour le RD-33 à seulement 2 200 heures pour le RD-93. Cette information est contestée par les responsables pakistanais).

L'Argentine se serait vu proposer par les Chinois une vingtaine d’avions de combat Chengdu JF-17. Certains des appareils proposés seraient construits au Pakistan, mais des négociations seraient également en cours concernant le transfert de la technologie et des droits de production ce qui conduirait à ouvrir une ligne d’assemblage de Chengdu JF-17 en Argentine - une offre naturellement alléchante pour le gouvernement local.

Cependant, bien que le JF-17 soit officiellement un avion construit au Pakistan, l'ensemble du dialogue a été dominé par des interactions avec les autorités chinoises. Pas plus tard qu'en mai 2022, une délégation argentine a visité l'usine aéronautique n° 132 de Chengdu, où les premiers prototypes ont été assemblés, plutôt que la chaîne de production à grande échelle au Pakistan.

L’usine Chengdu est connue pour être la plus performante des deux principaux centres de production d'avions de combat de la Chine, l'autre étant l'usine aéronautique de Shenyang dans la région de Dongbei, au nord de la Chine. Le JF-17 "est ce qu'il est", a déclaré un ancien analyste de la défense de l'OTAN, à savoir "un chasseur léger et peu coûteux pour les pays qui n'ont pas les poches pleines".

En soi, le chasseur JF-17 ne constitue pas une menace réelle pour les États-Unis, mais cette première vente chinoise représente le proverbial "museau du chameau sous la tente", a déclaré cet expert (NdT – Le museau du chameau sous la tente, en anglais : "camel’s nose under the tent" est une métaphore en anglais américain qui peut se traduire par "mettre le doigt dans l’engrenage". Le museau du chameau sous la tente signifie une situation d’apparence insignifiante où un petit acte apparemment inoffensif qui est autorisé ouvrira la porte à des actions plus importantes et clairement indésirables plus tard). Cette vente serait un moyen pour la Chine de faire des incursions dans ce que les États-Unis considèrent comme leur pré carré. Naturellement, l'achat d'un avion chinois s'accompagnerait d'infrastructure chinoise à savoir des sous-traitants et des formateurs fournis par la Chine, tout à fait le genre de premier pas dont le général Richardson s'est inquiétée au cours de l'été.

Si le JF-17 équipe les forces aériennes argentines, ajoute l'expert, il est possible que la Chine propose ensuite un accord bon marché pour le chasseur Chengdu J-10, un autre chasseur chinois plus récent pour ces dernières versions que le JF-17 et doté d’un rayon d'action et d’une capacité d'emport bien plus importants que ceux du JF-17. Voire même, potentiellement, pour le Chengdu J-20, un modèle qui incorpore une certaine forme de furtivité et qui peut atteindre des cibles situées à près de 2000 km de sa base sans ravitaillement. Ces deux types d'appareils permettraient à la Chine d’asseoir considérablement son assise militaire dans la région.


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Trois F-16 de la 96ème escadre de chasse de l’USAF se préparent au décollage sur la base aérienne de Homestead, le 3 août 2022, lors de l'exercice Golden Gecko Airmen Readiness Exercise 2023. L'exercice, qui s'est déroulé du 1er au 3 août, a permis de tester les capacités de différenets escadres de chasse américaines dans des environnements contestés, dégradés et limités sur le plan opérationnel, y compris des scénarios d'exposition chimique, biologique, radiologique et nucléaire. © Lionel Castellano, USAF


"Le véritable cauchemar pour un certain nombre de planificateurs de la défense à Washington serait qu’un pays dans l'hémisphère sud devienne un client de la Chine ce qui constituerait une base d'opération pour les dernières machines de défense et aérospatiales chinoises dans l'arrière-cour des États-Unis", a déclaré l’expert.

Une autre question à analyser est que les JF-17 acquis par le Nigeria et le Myanmar sont tous équipés du moteur russe RD-93MA, alors que l'avion proposé à l'Argentine serait équipé d'un réacteur Guzhoi WS-13 construit en Chine.

La conception du WS-13 est en cours depuis des années et, à l'instar de nombreux autres programmes de réacteurs chinois, elle a connu plusieurs revers au cours de son développement. Les stratèges américains en matière de défense s'inquiètent du fait que ce moteur équipe également le tout nouveau chasseur chinois Shenyang J-35, un avion de combat capable d’effectuer des missions aéronavales en opérant à partir de porte-avions, et qui ressemble comme deux gouttes d’eau au F-35C de l'US Navy mais dans une version biréacteur.


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La première image haute résolution du Shenyang J-35, le premier chasseur naval furtif chinois de 5ème génération, circule sur les réseaux sociaux. Le premier prototype du J-35 a effectué son premier vol en octobre 2022. La photographie a été publiée via Weibo, un réseau social chinois, et montre des techniciens travaillant autour du chasseur furtif, avec un groupe assis à côté du train d'atterrissage droit. Cet appareil est le troisième prototype du J-35 - en fait le deuxième prototype volant - numéroté 350003. © Weibo


Un expert du renseignement américain nous a déclaré sous le couvert de l’anonymat : "Une vente chinoise à l'exportation incluant le réacteur WS-13 signifie exactement ce que la marine américaine ne veut pas voir se produire à ce stade. (…) Une telle vente réussie créerait la base nécessaire à l’utilisation à plus grande échelle de ce réacteur chez l’acheteur. Cela pourrait accélérer par contre coup le développement du réacteur WS-13 et donc accélérer son introduction dans les futurs chasseurs J-35 en service actif au sein des forces aériennes de l’Armée Populaire de Libération. Une telle chose représenterait un véritable défi naval posé par Pékin aux Etats-Unis".

Nouveau contre ancien

Si le resserrement des liens de l’Argentine avec les États-Unis que faciliterait l'acquisition des F-16 présente des avantages indéniables, il n'en reste pas moins que des difficultés subsistent si l'on veut bloquer efficacement l'offre chinoise.

L'un des problèmes est simplement l'âge des F-16 qui sont des appareils vieux de 40 ans qui ont déjà été fortement sollicités et sont donc plus difficiles à vendre par rapport à l'offre chinoise pour des avions plus récents. Un autre problème est que les États-Unis font généralement des avions un paquet et des armes et des équipements nécessaires à leur utilisation un autre, ce qui signifie que l'Argentine devrait conclure au moins deux accords différents, contrairement au JF-17, qui est censé être un paquet complet et donc unique.

La contre-proposition chinoise, suite à l’offre hautement compétitive des États-Unis, porte cette fois sur au moins 15 JF-17, tous neufs, avec la possibilité de négocier un deuxième lot et, à une date ultérieure, un troisième. Il s'agit de nouveaux avions et la Chine propose un ensemble très complet d'armements et d’équipements avec très peu de restrictions. Les conditions négatives seraient plutôt d'ordre politique en raison de la tournure internationale que prendrait une vente d’armes avec la Chine.

La Chine offre le délai de grâce habituel pour les paiements. L'avantage est qu'il n'y a pas d'argent à verser d'emblée et que l'avion pourrait rester en service bien plus longtemps que les F-16 danois qui sont des appareils d’occasion. Toutefois, les critiques pointent du doigt une précédente passation de marché pour la modernisation des systèmes radar argentins, où le matériel proposé, fabriqué en Chine, a été disqualifié "en raison de défauts de qualité", selon les rapports.

Mais outre le fait qu'elle risque de tomber dans l'un des fameux "pièges de la dette" pour lesquels Pékin est connu lorsqu'il traite avec des pays plus pauvres, l'acquisition du JF-17 pourrait donner l'impression que l'Argentine abandonne son alignement traditionnel sur les États-Unis et les pays européens. Cela pourrait créer un obstacle non néliogeable à tout futur achat de matériel américain par les Forces Aériennes Argentines. Peut-être un bon signe pour Washington, l'Argentine vient de conclure un accord pour l'acquisition de quatre avions Lockheed P-3 Orion d'occasion auprès de la Norvège.

Les États-Unis sont en train de trouver un nouvel équilibre. Les forces armées argentines ont été presque exclusivement alignées sur les États-Unis au cours du siècle dernier. Cette "intimité avec le client", comme le décrit le personnel de marketing de l'industrie de la défense américaine, donne à Washington un avantage certain dans toute vente. Mais selon le quotidien La Nacion, la contrepartie tacite à un achat de F-16 serait que Buenos Aires compterait en retour sur le soutien de Washington pour résoudre ses problèmes de remboursement de la dette auprès du Fonds monétaire international (FMI).
Un autre problème potentiellement plus délicat est le fait que le Danemark s'est également engagé à fournir des F-16 pour la défense de l'Ukraine. Au cours des deux derniers mois, le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège ont tous accepté d'envoyer certains de leurs appareils : 19 appareils de la Royal Danish Air Force (RDAF), 42 de la Royal Netherlands Air Force (RNLAF) et peut-être même 10 de la Royal Norwegian Air Force (RNoAF).

Il semble difficile de satisfaire les besoins de l'Argentine et de l'Ukraine, car le nombre total de F-16 notifiés par la DSCA pour l'Argentine, plus les 19 promis à l'Ukraine, dépasserait probablement l'inventaire disponible. Des fonctionnaires au fait des offres faites aux deux armées de l'air affirment que le Danemark allouera des appareils F-16 à la fois pour répondre à la demande de Kiev et pour fournir les F-16 de la tranche initiale faite à Buenos Aires ; on ne sait pas exactement comment tout cela se déroulera à terme.


FIN


ouaf ouaf ! bon toutou !!

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