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Le tout premier vol de la KLM: un avion et un pilote anglais !
Rubrique : Archéologie Aéronautique
Philippe Urban
La compagnie KLM a été fondée le 7 Octobre 1919, mais aucun vol n’eut lieu les sept premiers mois de son existence. La KLM se décida à louer un appareil à la compagnie aérienne britannique AT&T. L’avion loué était un biplan De Havilland DH-16, immatriculé G-EALU. Cet avion se posa pour la première fois à Schiphol en provenance de Londres, le 17 Mai 1920 avec le pilote britannique H. Jerry Shaw aux commandes.
En septembre 1919, un aviateur néerlandais de 30 ans, Albert Plesman, qui venait d’organiser avec succès une grande exposition aéronautique à Amsterdam, s’associa à plusieurs entrepreneurs en vue de créer une compagnie de transport aérien. Très vite, fin septembre, la reine Wilhelmine autorisa par un décret royal la formation de cette compagnie aérienne qui devenait donc la Koninklijke Luchtvaart Maatschappij ou KLM. C’est le 7 octobre 1919 qu’Albert Plesman et neuf hommes d’affaires donnent vie à la KLM, en faisant ainsi l'une des premières compagnies aériennes au monde.
Albert Plesman, président-fondateur de la KLM.
En mai 1920, la pause hivernale étant terminée, les vols pouvaient reprendre. Pendant la pause hivernale à cette époque, aucun avion commercial ne volait. Toutes les liaisons aériennes étaient interrompues. il faudra attendre les années trente pour voir des avions de ligne voler les mois d’hiver. La KLM, qui avait été fondée au début de la pause hivernale 1919-1920, allait enfin pourvoir commencer ses activités commerciales. Mais, elle n’avait encore aucun avion en propre. Que faire ? Le Conseil d’Administration prit contact avec la Société britannique AT&T (Aircraft Transport & Travel) pour appliquer leur méthodes de travail au service des passagers.
DH.16 des Aircraft Transport & Travel; Ă Londres-Croydon en 1920.
La compagnie britannique AT&T
AT&T était la première compagnie aérienne au monde à avoir été créée, elle avait été en effet fondée en octobre 1916, trois ans plus tôt. En mars 1920, la compagnie AT&T exploitait depuis l’année précédente un vol quotidien sur la ligne entre Londres et Le Bourget avec une régularité qui impressionnait. Le vol durait 2 heures et demi et l’aller coutait la bagatelle de 21 livres (soient 3 000 €). Cette exploitation commerciale réussie explique que la KLM se soit adressée à AT&T.
Passagers dans un DH.16 des AT&T.
La possibilité d’opérer la première ligne de la KLM en commun figurait dès le départ des négociations entre anglais et hollandais. Mais, de fait, c’est un contrat d’affrètement qui fut signé. AT&T fournirait un avion et un pilote, à charge de la KLM de trouver des passagers et une ligne à exploiter pour cet avion. La ligne d’abord envisagée devait relier Londres à Maaldrift. A l’époque, Maaldrift était une petite ville au nord de La Haye et à une quarantaine de km au sud d’Amsterdam, qui possédait un terrain d’aviation. Cet aérodrome avait le seul mérite d’être très proche des lieux d’habitation des fondateurs de la KLM. Mais, finalement, le consensus se fit pour relier Londres à Schiphol, le terrain d’aviation qui desservait Amsterdam. Le tout premier service aérien de la KLM fut donc assuré par un De Havilland DH.16 d’AT&T, immatriculé G-EALU, avec le commandant Jerry Shaw aux commandes.
Le De Havilland-Airco DH.16 G-EALU des AT&T.
Le De Havilland Airco DH.16
L’avion De Havilland DH.16, alors appelé Airco DH.16, était dérivé du dernier des bombardiers que la RAF mit en service pendant la Première Guerre Mondiale, le biplan De Havilland DH.9. Son équipage consistait en deux personnes : un pilote et un mitrailleur. Après la guerre, il y eut un gigantesque surplus d’Airco DH.9, pas loin de 1 800 avions avaient été en effet construits.
Les premiers DH9 utilisés comme avion de transport civil, n’emportaient qu’un seul passager, assis à la place du mitrailleur derrière le pilote. Un siège supplémentaire, pour un second passager, fut très vite ajouté devant le siège du pilote, près du nez de l’appareil. Ce fut le modèle Airco DH.9B. En 1922, une version DH.9C fut produite qui pouvait transporter quatre passagers : un premier passager devant le pilote, lui tournant le dos ; un deuxième passager derrière le pilote lui tournant aussi le dos ; et deux assis face à face derrière les trois autres. Pas vraiment confortable, et déjà une prévision du transport de masse dans des bétaillères volantes.
L’Airco DH.16 était un DH.9 avec un fuselage modifié pour recevoir quatre passagers dans une cabine fermée, équipée de quatre larges hublots, assis sur deux rangs et l’un derrière l’autre dans des sièges relativement confortables (pour les standards de l’époque). Le pilote, lui, était exposé à l’air libre à l’avant de la cabine des passagers, une petite verrière basse le protégeait plus ou moins bien du vent du déplacement et du souffle de l’hélice. Neuf DH.16 furent construits au total, tous à destination de la compagnie AT&T.
Embarquement des passagers et des valises dans un DH.16.
Ces avions avaient très peu d’instruments de bord. La navigation se faisait à vue en suivant les grandes routes et les lignes de chemin de fer. Quand AT&T fit banqueroute en décembre 1920, la KLM récupéra quatre De Havilland DH.9 de la compagnie anglaise. Ce furent les quatre premiers avions de la flotte de la KLM.
Le premier vol de la KLM, parti de Londres-Croydon, atterrit à Schiphol à 12 h 45 le 17 Mai 1920. L’avion G-EALU transportait deux journalistes, les deux premiers passagers de la KLM, du fret, des journaux anglais du matin, et une lettre du Maire de Londres destinée au Maire d’Amsterdam. Le carnet de bord de l’avion indique que ce premier vol entre Londres et Amsterdam dura 2 h 15 et que le pilote vola à l’altitude moyenne constante de seulement 300 pieds ... pour mieux se repérer.
Les premiers passagers de la KLM descendent du DH.16 Ă Schiphol le 17 mai 1920.
Le pilote britannique H. Jerry Shaw vient d’arriver à Schiphol. Il est le dernier à droite.
On peut lire dans le Rapport Annuel de la KLM pour 1920: “Grâce à l’approbation royale du Décret de sa Majesté en date du 30 Juin 1919, autorisant la Compagnie Royale des Lignes Aériennes des Pays-Bas (Koninklijke Luchtvaart Maatschappij ou KLM) à commencer ses opérations commerciales, la KLM a effectué un vol d’essai, le 17 Mai 1920, avec le Royaume-Uni. » La raison pour laquelle ce premier vol est cité comme un vol d’essai est que personne, en Hollande, n’avait l’expérience du transport de passagers. Tout était à faire. Aucun constructeur ne proposait encore un avion conçu dès le départ comme un avion de transport de passagers.
Les premiers temps, les rares passagers s’embarquaient donc dans une vraie aventure et, ce, dans un confort spartiate. D’autant que les fins tragiques étaient fréquentes. Le passager devait grimper, plus ou moins portés par le personnel au sol, dans une cabine ouverte aux quatre vents et bruyante. On lui passait sur son veston, une veste en cuir épaisse. Il enlevait son chapeau, alors déposé dans une boite prévue à cet effet près de son siège, et on l’affublait d’un capuchon doublé de fourrure et, enfin, on lui passait une large paire de lunettes d’aviateur. Le passager était alors prêt.
Embarquement sur un DH.9 des passagers sur un Londres-Paris en 1919.
Jour de fĂŞte Ă Schiphol
Puis, vint le Fokker F.II, le premier avion conçu dès le départ pour le transport de passagers. Cet avion, le premier appareil de passagers de la KLM, fut présenté par la Société Fokker à Schiphol en 1920. Fokker, à l’origine une société allemande, avait quitté l’Allemagne pour les Pays-Bas en 1919 pour fuir les clauses restrictives du Traité de Versailles. Les premiers temps, Fokker fit de nombreuses présentations de ses avions sur différents terrain hollandais pour se faire mieux connaître.
Le monomoteur Fokker pouvait transporter quatre passagers, assis dans une cabine fermée, avec un pilote assis devant et à l’air libre, tout comme le DH.16. Mais, l’avion de Fokker pouvait voler sur 1 200 km sans escale (soit presque deux fois plus loin que le DH.16) à une vitesse moyenne de 150km/h au-dessus de la terre ferme, et de 120 km/h au-dessus de la mer. Les ailes étaient construites en bois et en contre-plaqué, le fuselage et la dérive étaient construits en tubes de métal recouverts de toile.
Tableau Comparatif DH16 et Foker FII
Cabine du Fokker F.II (illustration d'Ă©poque).
Cockpit du Fokker F.II (source : Lelystad-Aviodrome Museum).
Il se trouve que la présentation à Schiphol du tout nouveau Fokker F.II eut lieu le 17 Mai 1920, le jour même où l’Airco DH.16 des AT&T arrivait de Londres sous les couleurs de la KLM. Avec les journalistes et photographes déjà présents et le public venu nombreux, la conjonction des deux événements aéronautiques fut certainement un jour de fête à Schiphol.
Vingt fois Amsterdam-Jakarta
La KLM ne commanda que deux Fokker F.II, qui lui furent livrés fin 1920. Or, très vite, Fokker se mit à travailler sur un projet de nouvel avion commercial, le futur Fokker F.III. La capacité passait à cinq passagers. le Fokker F.III allait donc permettre un « transport de masse » que ne permettait pas le Fokker F.II, ce qui, déjà , intéressait vivement la KLM.
Le Rapport Annuel de la KLM pour 1920 montre que sa flotte de deux De Havilland-Airco DH.16 et de deux Fokker F.II avait transporté en 6 mois un total de 345 passagers, près de 22 tonnes de fret, et près de 3 tonnes de courrier sur les lignes régulières Amsterdam – Londres et Amsterdam - Paris. Les services aériens eurent lieu du 17 Mai à fin Octobre 1920, où les opérations aériennes cessèrent à cause de la pause hivernale. Pendant ces six mois, la KLM avait opéré 584 vols réguliers parcourant ainsi 233 600 km, soit vingt fois la distance séparant Amsterdam de Batavia (l’actuelle Jakarta) dans ses colonies des Indes Orientales, comme l’indique astucieusement la KLM dans son Rapport.
Vendus Ă la Sabena
Les deux Fokker F.II, immatriculés H-NABC et H-NABD (à l’époque, l’immatriculation des avions hollandais était en “H”, pas en “PH”), restèrent en service au sein de la KLM jusqu’à l’été 1927. Ils furent alors vendus à la Société belge de transport aérien, la SABENA qui les utilisa encore deux ans.
Ensuite un Fokker F.II survivant rejoignit alors la Hollande où il fut acquis par l’organisme d’état qui, aujourd’hui est le Laboratoire Aérospatial National des Pays-Bas. Il fut conservé pour être, le jour où un musée de l’air serait construit, exposé dans ce musée. Hélas, l’Histoire en décida autrement. Il fut totalement détruit lors du bombardement allemand de Schiphol le 10 Mai 1940.
Une lettre de Monsieur le Maire Tellegen
Le 17 Mai 1920, pour son vol de retour à Londres, le DH-16, toujours piloté par le pilote anglais H. Jerry Shaw, emmenait du fret et des journaux du jour, mais aussi une lettre de Monsieur Jan Willem Tellegen, le Maire d’Amsterdam, destinée au Maire de Londres. L’avion emmenait aussi deux passagers dont J. van den Biggelaar du quotidien du soir De Maasbode de Rotterdam. Il écrivit le lendemain, un important article relatant son voyage jusqu’à Londres « en avion ».
Le vol, depuis Schiphol, suivait la côte hollandaise, puis la côte belge de la Mer du Nord jusqu’au port français de Calais où l’avion traversait alors la Manche pour rejoindre Douvres. Puis c’étaient Canterbury, Maidstone et, enfin Croydon et son aéroport au sud-ouest de Londres.
Van den Biggelaar écrit : « Nous approchons, peu après notre départ, de la ville de La Haye. Les petits carrés des places et les rues grises mouillées de la pluie nous semblent des larmes de rosée où courent de ci de là les petites taches jaunes des tramways. Vue de cette hauteur où nous nous déplaçons, la ville apparaît comme bien soignée et terriblement proprette. ».
Il continue : « Arrivé à Calais, notre avion tourne aussitôt à droite en direction de l’Angleterre. Notre vol au-dessus de la Manche vient alors de commencer. C’est, sans aucun doute, la partie la plus dangereuse de notre voyage. Si, soudain, nous devions nous poser ici, cela voudrait dire : couler comme une pierre ! En effet, cet avion est conçu pour se poser sur la terre ferme. Contrairement à moi, mes collègues britanniques, plus prévoyants, sont équipés d’une veste de secours gonflable qui leur permettrait, me disent-ils, de moins se fatiguer pour rester à la surface de la mer dans le cas où nous devrions faire un plongeon involontaire dans cette mer vaseuse ».
Comme dans un rĂŞve
Malgré cette inquiétude, cette traversée de la Manche, une petite dizaine d’années seulement après celle de Louis Blériot, se fit sans incident. A l’arrivée à Croydon, un taxi attendait Van den Biggelaar pour le conduire à Londres. Ce fut, pour lui, nous dit-il, un véritable choc de se retrouver soudain dans une ville étrangère en si peu de temps. Quatre heures avant, il se trouvait à Amsterdam : « Comme dans les rêves, où les distances ne comptent pas, voilà que je me promenais dans la City, juste quatre petites heures après être parti d’Amsterdam. Voilà le vrai succès de ce nouveau mode de transport. Le tout dernier développement de l’aviation, son triomphe ! »
ouaf ouaf ! bon toutou !!
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