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Cher(e)s ami(e)s,
Voici un article publié dans le numéro 1276 du 11 novembre 1932 de l’hebdomadaire L’Aéro: l'Organe de la Locomotion Aérienne!
Il s’agit du récit par le lieutenant Gustave Minier de son vol le jour l’armistice avec, à son bord, le plénipotentiaire allemand qui avait apporté la capitulation au Grand Quartier Général français. Ce vol fut, par la suite, appelé le « vol de l’armistice. »
J’ai pensé que ce texte pourrait vous intéresser.
Bonne lecture,
Philippe
Un point d’histoire : le Vol de l’Armistice
Par le lieutenant Minier,
Ex-pilote de l’escadrille B.R.-35
Ce document photographique, absolument inédit, nous a été confié par le lieutenant Minier lui-même. Il représente le capitaine Von Geyer –en casquette et longue capote au col relevé – à proximité de l’avion, qui doit le ramener dans ses lignes, dont on distingue l’une des flammes blanches (le drapeau blanc) accrochée aux mâts de l’appareil.
Ordre de Mission
Première Armée
Etat-Major
AĂ©ronautique
ORDRE
Il est ordonné au lieutenant G. Minier de se rendre par la voie des airs sur avion Breguet à Morville pour y déposer le capitaine Geyer, parlementaire de l’armée allemande.
Il rentrera par la voie des airs à son terrain de départ, la mission terminée.
QGA, le 9 novembre 1918
Le général Debeney
Commandant la 1ère armée
En novembre 1918, j’appartenais à la BR 35, l’une des escadrilles du 20ème corps d’armée, et nous nous trouvions sur le terrain d’aviation de Tergnier. Le 8 de ce mois, mon chef d’escadrille le capitaine Jacques Bignon me fit appeler et me donna l’ordre de faire désarmer mon avion. « Vous êtes, me dit-il, à la disposition du Grand Quartier Général, il se pourrait que vous ayez à transporter au-delà de nos lignes, soit des plis, soit des parlementaires. Il importe donc que votre avion soit prêt à prendre l’air à tout instant, et vous-même ne devez vous absenter du camp sous aucun prétexte. »
Je courus au hangar où s’abritait mon vieux Breguet et je donnai l’ordre à mon mécanicien, absolument ahuri, d’enlever les mitrailleuses et de placer à chaque extrémité des ailes de grandes flammes blanches, découpées dans un drap. »
Breguet XIVA équipant l’escadrille BR-35
Après quoi, ce fut l’attente. Mes camarades partaient en mission et faisaient leur travail quotidien pendant que je me morfondais dans l’attente d’un ordre qui ne venait pas. Enfin, dans la nuit du 10 au 11, la sonnerie du téléphone résonna dans la tente que je partageais avec le chef d’escadrille et un autre camarade, lieutenant pilote comme moi.
Nous entendîmes une exclamation : « Ah ! Bravo ! » et, immédiatement, le capitaine nous cria : « C’est fini ! Les enfants, l’armistice est signé ! » Il ajouta à mon intention : « Un parlementaire allemand vient du GQG, vous partirez avec lui dès qu’il sera arrivé, prenez vos dispositions ! »
L’aube du 11 novembre vient, terne et mélancolique, et les hangars s’ouvrirent. Mon avion fut vite tiré de son abri et placé en position de départ. La nouvelle s’était répandue rapidement sur le terrain et, de toutes les escadrilles, les équipages qui n’avaient pas de mission à accomplir affluaient afin d’entrevoir le parlementaire ennemi. Celui-ci arriva dans une auto du GQG vers 7h30, accompagné d’un capitaine de la gendarmerie.
Les capitaines Hély d’Oissel, commandant du secteur, et Bignon, chef de l’escadrille 35, les accueillirent à leur descente de voiture. Les présentations faites, nous nous dirigeâmes vers l’avion dont le moteur tournait au ralenti. Mon passager, qui parlait un excellent français, s’appelait le capitaine Von Geyer, et ce nom me rappela tout à coup celui d’un officier (ici le texte du journal est hélas illisible - sans doute fait-il référence à l’officier allemand Mayer qui fit le premier geste de guerre contre un soldat français le matin du 2 août 1914 en tentant de le sabrer et, donc, le texte fait-il peut-être référence à la ressemblance entre Geyer et Mayer ?).
Je lui proposais une combinaison fourrée et un bonnet d’aviateur, car nous étions en novembre, mais il préféra garder son manteau dont il avait relevé le col et sa haute casquette plate qu’il avait profondément enfoncé sur sa tête. Comme je lui objectais qu’il y aurait beaucoup de vent à cette place du passager, il me répondit qu’il avait déjà volé souvent et que cela irait bien ainsi. Avant de monter dans la carlingue, il remercia en quelques mots le commandant du secteur et le chef d’escadrille et s’installa à la place de l’observateur.
Nous décollâmes. le plafond s’était un peu élevé depuis le petit matin et je pus monter à 800 mètres environ pour me conformer aux indications de mon ordre de service. En approchant des lignes du front, je trouvai la pluie et des nuages beaucoup plus bas. Il me fallut descendre, et c’est à peine à 300 mètres d’altitude que je franchis les lignes. Pas un coup de canon, pas un coup de fusil ne saluèrent mon passage si bas, contrairement à l’habitude. Etais-je protégé par les grands fanions blancs qui s’étiraient au bout de mes ailes ou bien, l’ennemi, trop occupé déjà à battre en retraite, ne prenait-il plus le temps de tirer sur cet avion qui le survolait aussi bas ? Je ne sais, mais c’était pour moi, un véritable plaisir de regarder sur les routes ces interminables convois allemands battant en retraite vers le nord.
Bientôt il m’apparut que je n’étais plus loin de Morville, point d’atterrissage qui m’était assigné dans les Ardennes Belges. C’est alors que se place un incident qui faillit bien compromettre le sort de ma mission. Tandis que je m’efforçais de trouver le camp d’aviation de Morville dans l’horizon fort limité qui était au-dessous de moi (je n’étais alors plus qu’à 150 mètres de hauteur), j’aperçus tout à coup un avion qui volait dans ma direction et que mon passager me signala en me tapant sur l’épaule. Pensant qu’il s’agissait d’un avion allemand venu à notre rencontre pour nous indiquer le sens d’atterrissage du terrain de Morville, je délaissais ma carte et me mis à suivre l’avion en question. Ce dernier, au lieu de se laisser approcher, fuyait devant moi et, en quelques minutes à haute vitesse, me fit sortir de ma carte. Lorsqu’il eut suffisamment repéré, il s’approcha et je reconnus alors un avion français. Que faisait-il en ces lieux ? Je l’ignore encore ...
Voyant que ce n’était pas le guide que ej supposais, je tentai de reconnaître ma route à la boussole et à basse altitude, mais tout à coup je me trouvais au-dessus d’une ville importante toute semée de cheminées d’usines et de crassiers de mine. Rien dans la direction que j’avais à suivre ne laissait prévoir cette rencontre avec une grande ville et, m’apercevant que j’étais égaré, je me disposais à atterrir après avoir fait quelques tours pour recherche un terrain propice.
Je réussis alors à me poser en bordure des faubourgs de cette ville inconnue, près d’un puits de mine. Mes évolutions à basse altitude avaient alerté une grande partie de la population du faubourg qui avait reconnu les cocardes tricolores. Aussi, à peine mon avion était-il arrêté que je fus entouré par une foule immense de femmes, d’enfants et de mineurs. Le premier jeune homme qui s’approcha en courant reconnut tout à coup à l’arrière l’officier allemand et resta figé à quelques mètres de l’avion sans oser s’approcher plus. La foule qui venait derrière lui marqua elle aussi un temps d’hésitation. De mon siège, je questionnais : « Où sommes-nous ? » Au lieu de me répondre, l’homme se tourna vers les autres et cria : « C’est un français ! » Ce fut alors inimaginable. La joie de toute cette foule explosa, les chapeaux et les casquettes volaient en l’air et tous criaient : « Vive la France ! » Des femmes s’approchaient en pleurant et j’eus grand’ peine à obtenir le renseignement que je désirais, toutes les questions se pressaient et se croisaient. Derrière moi, mon passager restait impassible mais il était devenu très pâle. Après forces palabres, je parvins à trouver un homme qui connaissait bien la région et qui m’indiqua la direction approximative de Morville.
Le capitaine Von Geyer me tendit alors une carte routière de la France et de la Belgique qu’il avait dans sa poche et je repris mon vol. je volais à nouveau depuis quelques minutes, lorsque mon moteur se mit à baisser de régime et à cracher tout à coup d’énormes flammes orangées.
Il m’était impossible de continuer sans risquer l’accident et c’est la rage au cœur que je fus contraint d’atterrir, désespérant de mener à bien ma mission et décidé à confier mon passager à une auto qui l’emmènerait à destination. Ce second atterrissage de fortune une fois encore se passa très bien. J’étais vraiment, sur ce point, servi pas la chance.
Ayant découvert la panne et réparé, après un nouveau décollage –aucune voiture n’ayant passé – je repris la direction du terrain d’aviation de Morville et y déposai bientôt mon passager où un officier d’état-major allemand l’attendait dans une puissante automobile.
Ma mission étant accomplie, ma joie était grande, toutefois mes déboires n’étaient pas terminés. Pendant que mon passager descendait de mon avion, l’officier d’état-major qui l’attendait m’invita aimablement et en excellent français à descendre pour me réconforter avant de prendre le chemin du retour. Je déclinai courtoisement son invitation, lui disant que j’avais l’ordre de rentrer sans délai. C’est alors que la capitaine Von Geyer me remercia de l’avoir transporté et me pria de transmettre sa gratitude au commandant de secteur et du chef d’escadrille qui l’avaient accueilli sur le terrain de Tergnier.
J’attendais que l’automobile qui emportait mon passager eût quitté le terrain pour décoller et c’est pendant cette attente que mon moteur, qui tournait au ralenti depuis un bon moment, s’arrêta. Pendant plus de deux heures, je fis de vains efforts pour le remettre en route. Les quelques mécaniciens allemands qui se trouvaient encore sur le terrain n’ayant pas l’habitude de lancer es moteurs comme le mien, je dus moi-même y procéder.
J’avais fait monter dans la carlingue un jeune mécanicien alsacien qui parlait très couramment le français, et lui avais indiqué les manœuvres à faire pour le lancement du moteur. Malheureusement, au bout de quelques minutes, mon aide ayant lâché trop tôt la manette de retard, je subis un violent retour d’hélice et j’eus le poignet droit foulé. Je renonçais alors à mes tentatives et je fis rentrer mon avion dans le hangar afin de nettoyer les bougies du moteur.
Les escadrilles allemandes de bombardement de nuit qui se trouvaient habituellement sur ce terrain avaient déjà évacué les lieux et il ne restait plus dans l’immense hangar que deux ou trois avions de type Friedrichshafen indisponibles. Mon Breguet trouva facilement à s’y caser et le jeune mécanicien alsacien se mit en devoir de démonter le moteur et nettoyer les bougies. Par son intermédiaire, je demandais à l’officier qui commandait le terrain de Morville de faire prévenir par TSF le GQG français de l’impossibilité de mon départ car il avait déjà été prévenu de mon arrivée avec le parlementaire.
Bombardier bimoteur Friedrichshafen GIII.
Toute cette nuit-là , passée sur un lit de camp dans le hangar, il me fut impossible de trouver le sommeil. Je passai des heures à lire quelques volumes que m’avait prêtés la jolie fille du bourgmestre de Morville, tandis que des sentinelles allemandes, baïonnette au canon, arpentaient le hangar où je me trouvais.
Enfin le jour vint. On m’apporta du café et j’eus la joie de faire partir mon moteur du premier coup. Le voyage de retour, ce 12 novembre, fut sans histoire et j’atterrissais peu de temps après sur le terrain de Tergnier où m’attendaient mes camarades d’escadrille, se demandant, depuis la veille, ce que j’étais devenu...
G. Minier, lieutenant.
Dernière modification par philouplaine (21-11-2017 17:36:50)
ouaf ouaf ! bon toutou !!
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