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Bonjour chers amis,
Je vous présente aujourd’hui un article tiré d’une revue ancienne : l’hebdomadaire L’AERO du 23 juin 1933 où l’auteur, le pilote de la Grande Guerre Pierre Claret de Fleurieu (qui s’en souvient ?), relate dans un texte court ce qui fut, pour lui, son « plus dur combat ». Lire cet article, c’est lire, de première main, le ressenti du pilote de chasse face à une situation qu’il juge difficile. Voilà donc ce texte tel quel agrémenté de quelques illustrations que je vous ai choisies. La revue hebdomadaire : L’Aéro, qui paraissait tous les vendredis, a publié cette année-là une série d'articles mettant à l’honneur des pilotes de chasse français, certains bien connus, d’autres moins. J’ai pensé que vous seriez peut-être intéressé par la lecture de cet ancien morceau d’histoire de l’aviation !?
Pierre de Fleurieu (1896-1976)
Pierre Claret de Fleurieu a, à son actif, 5 victoires homologuées et une probable, le tout en un seul mois, mai 1918 ! Il est grièvement blessé et abattu 28 jours exactement après avoir livré son premier combat. Amputé, il pourra revoler sur un avion spécial pendant les derniers jours de la guerre. Je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations sur ce brillant jeune as de notre chasse. Après la Grande Guerre il devint le Directeur général de la CIDNA, la compagnie aérienne franco-roumaine de l’entre-deux-guerres, qui défricha les lignes de l’Europe de l’Est et de la Turquie. Il est connu pour avoir été le Penseur de la Ligne. Il fut un grand résistant pendant la seconde guerre mondiale. Chevalier de la Légion d’Honneur, Croix de Guerre, 7 citations à son actif.
Pierre de Fleurieu Ă l'Ă©poque de la CIDNA
Voici ce qu’on peut lire sur sa première prise de contact d’un combat aérien, le 11 avril 1918, alors qu’il venait tout juste d’arriver dans son escadrille, la Spa95, l’escadrille des Martinets.
Le 11 avril 1918, le sous-lieutenant Pierre Claret de Fleurieu, récemment affecté à l'escadrille, va prendre part à sa première mission de combat. Ce jeune officier, sorti premier des écoles de tir, d'acrobatie et de combat, est immédiatement pris en charge par le capitaine Marcel Hugues, le chef de la Spa-95. Celui-ci le met tout de suite dans l'ambiance : "Fleurieu, écoutez-moi. Vous êtes un très jeune pilote, vous ne savez rien. Si vous voulez rentrer vivant tout à l'heure, votre seule chance de salut est de me suivre d'aussi près que possible. Collez à mon avion. Ne me perdez pas une seconde, sinon vous êtes mort. Tachez d'être calme, essayer de voir et de comprendre ; je vous préviens, ce n'est pas commode."
Le capitaine Marcel Hugues devant son Spad-XIII
Hugues décolle suivi de ses cinq équipiers dont de Fleurieu. Au bout de dix minutes, le groupe survole les premières lignes et aperçoit rapidement les Drachen ennemis et les petits nuages noirs des obus de défense contre avions. La patrouille est accrochée par des chasseurs ennemis.
Le sous-lieutenant de Fleurieu se rappelle : " Je regarde de toutes mes forces, le ciel à l'air vide. Nous sommes à 3000 mètres. Hugues, que je suis à quelques mètres, fait deux ou trois petits changements de direction à droite et à gauche. Soudain, il vire à la verticale très violemment, et pique à mort après avoir battu deux ou trois fois des ailes. Je le suis, pensant qu'il s'agit d'un exercice car, malgré le battement d'ailes, je ne vois toujours rien. Tout à coup, sur un renversement, de longues traînées de feu sortent de ses mitrailleuses. Devant lui, un avion allemand flambe et tombe en vrille. Je suis tellement excité que je tire à mon tour sur le malheureux qui n'avait vraiment pas besoin que je l'aide à mourir; et je remonte en chandelle toujours dans la queue de mon chef d'escadrille et pas très fier de mon manque de sang-froid. A peine en haut de la chandelle, nous tombons en plein carrousel. Les avions allemands et les nôtres passent et repassent devant moi dans tous les sens tirant à qui mieux mieux. Puis deux nouveaux avions tombent en flammes et s'écrasent au sol. "
Claret de Fleurieu peut maintenant réfléchir à sa première mission qui a été bien mouvementée : "Mon amour propre était mis à rude épreuve. J'enregistrais qu'il fallait dans un ciel où les avions évoluaient à cinq cents km/h de vitesse réciproque, essayer avant toute action de voir et de comprendre tout ce qui se passait en haut, en bas, à droite et à gauche. Cependant, cette humiliante expérience allait m'être fort utile."
Bonne lecture !
Philippe
Voici le texte de cet article de 1933:
Leurs plus durs combats : Quand on fonce seul contre douze...
L’Aéro du 23 juin 1933
Par Pierre Claret de Fleurieu, as de la chasse française
Texte de l’Editeur :
La carrière de Pierre de Fleurieu, pilote de chasse à 18 ans, fut un éclair étonnant dans le ciel de la bataille du début de 1918. Arrivé en escadrille, jeune pilote tout juste sorti du « Groupe des Divisions d’Entraînement », livre son premier combat aérien le 1er mai 1918 et remporte une première victoire. Successivement, dans le courant du même mois, il emporte une deuxième, une troisième, puis une quatrième victoire. Enfin, le 29 mai 1914, exactement vingt-huit jours après son premier combat et son premier vol en escadrille, il attaque seul, à l’intérieur des lignes ennemies, douze avions Fokker, n’ayant pas hésité à lâcher sa patrouille pour se précipiter tête baissée sur cette bande qu’il avait aperçue avant les autres.
Ce jour-là , il fut descendu et grièvement blessé, non sans avoir mis à mal son dernier avion ennemi. A la suite de cette vilaine blessure, Pierre de Fleurieu subit la douloureuse amputation du bras droit. Comme tant d’autres, après ce sacrifice fait au pays, il aurait pu quitter le service actif et continuer à servir à l’arrière dans les services annexes. Une telle attitude ne pouvait convenir à un tel tempérament.
Pierre de Fleurieu demanda et obtint, eu égard à son éblouissante carrière de combattant, l’autorisation de faire faire un avion spécial qui lui permettrait avec son seul bras gauche de faire toutes les manœuvres si multiples et si complexes que nécessite le combat aérien lui permettant, avec une seule main et ses pieds, de déclencher à la fois les commandes du régime du moteur, le manche et les commandes des mitrailleuses.
Muni de cet avion spécial, il revint prendre sa place parmi ses anciens camarades de combat, dans sa chère escadrille, la « Spa 95 », qui s’enorgueillit encore d’avoir eu chez elle un tel combattant et ce ne fut que l’armistice de 1918 qui empêcha Pierre de Fleurieu de livrer de nouveaux combats et de remporter de nouvelles victoires.
Une telle carrière méritait à elle seule un long récit et nous regrettons de ne publier aujourd’hui que la page brève que Pierre de Fleurieu a bien voulu nous donner en nous racontant, à son tour, son « plus dur combat ».
Texte de l’auteur :
Mon plus dur combat ? On ne se doute certainement pas de l’effort qu’il m’a fallu faire pour me remettre, en 1933 quinze ans après, dans l’ambiance de ce matin de mai 1918, où il y avait sur le terrain près de Paris, dont j’ai même oublié le nom, tant de soleil et un si beau ciel bleu de printemps parsemé de petits nuages tout blancs dont je me souviens, en revanche, très bien ...
C’était alors la dernière grande poussée des Allemands sur Paris. Nous avions reçu la consigne d’attaquer tous les avions rencontrés et d’interdire à tout prix le survol de nos lignes. Aussi, vers dix heures du matin, nous partions en petite patrouille de six Spad et prenions rapidement de la hauteur.
En arrivant aux lignes, nous étions à peu près à 2 000 mètres, au milieu de ces petits nuages qui m’avaient paru si agréables dix minutes plus tôt. Un de mes camarades, Claude de Montrichard, était un peu en avant et à 300 ou 400 mètres en dessous de moi. Le reste de la patrouille s’étageait en hauteur derrière moi.
Je sentis alors, à je ne sais quoi, le danger tout proche et je fus à peine surpris en voyant tout à coup six Fokker piquer d’un nuage, comme des flèches, sur l’avion qui était devant moi. Puis, dix secondes après, six autres avions à croix noires, cela en fait douze. Tous ces avions se mirent à tournoyer à une vitesse folle. Les cocardes tricolores de mon camarade perdaient de la hauteur très vite et, autour d’elles, les fumées des balles traçantes resserraient un réseau mortel.
J’hésitais à attaquer les deux Fokker qui se trouvaient le plus haut, mais j’eus si instantanément le sentiment que mon camarade Claude serait en feu avant quelques secondes, bien qu’il se défendait comme un beau diable, que je piquais, sans hésiter, à travers les douze ennemis pour prendre en chasse le Fokker qui était dans sa queue. Mon arrivée impromptue mit un peu de désordre supplémentaire et je pris dans ma ligne de mire l’avion ennemi le plus près de Claude. Quelques balles, une rafale, et je le vis s’enfoncer au tapis en tournoyant après un brutal virage à gauche. Un virage à la verticale, et me voilà derrière un autre Fokker. Encore quelques balles. A ce moment, j’aperçois derrière moi, sur ma droite, un autre Fokker qui me tire dessus, très mal d’ailleurs, puisque ses traçantes passent loin derrière moi. J’ai le sentiment que je vais pouvoir achever celui que je tiens à ma merci et qui forme devant moi une énorme cible et je me dis – en un millième de seconde- « Encore celui-là et je m’en vais, ils sont trop ! »
Je tire quelques balles que je vois entrer dans son fuselage. En même temps, je sens que le Fokker qui se trouve derrière moi manœuvre pour rectifier son tir et, avant que j’aie pu faire un geste, je reçois ce qui me fait l’effet d’un gros coup de bâton dans le bras droit. Mon bras droit, cassé net au coude par une balle traçante, pend inutile à mon côté. Misère de moi, mon bras n'obéit plus. Je lâche mon manche à balai, et de la main gauche, je secoue ma main droite. Rien à faire. Un jet de sang m'inonde. Je prends alors mon manche du bras gauche et je regarde ma blessure : j’ai l’artère certainement coupée car je perds énormément de sang. Je pique alors à la verticale, plein moteur, aussi violemment que possible. Les boches, trop légers, ne peuvent pas suivre. Je tombe comme un caillou à 500 mètres, mais il faut rentrer et je suis à dix kilomètres chez l’ennemi. Le reste de la patrouille a compris depuis longtemps ce qui m’arrive et fait des efforts désespérés pour me dégager. Un à un les avions ennemis qui se mettent derrière moi pour m’achever sont attaqués avec la dernière violence.
Heureusement, car je ne vaux pas cher. La perte de sang est telle qu’un voile s’étend devant mes yeux ; j’ai vaguement conscience que je franchis les lignes, puis voici un champ de blé, la terre, juste devant ... je me présente pour me poser, coupe le moteur et perds connaissance deux secondes, un bruit formidable, je fracasse mon avion, trois ou quatre cabrioles et je capote à pleine vitesse. Puis, tout à coup, un grand silence. J’essaie, n’étant pas très sûr d’être du bon côté des lignes, d’atteindre du bras gauche le revolver qui est fixé dans ma carlingue. Impossible. Je commence à souffrir. Je suis la tête en bas, les pieds en l’air, dans un monceau de débris. Je tiens à l'avion par mes ceintures de sécurités. Mon artère coupée m'envoie régulièrement au rythme du cœur un jet de sang dans la figure. L’eau bouillante du radiateur et l’essence du réservoir me coulent, mélangées, dans le cou. Enfin, les morceaux de l’avion s’écartent et j’entends la voix d’un camarade. Mes camarades m’avaient suivi et s’étaient posés à ma suite. Drôle de retour des choses, c’est Claude lui-même, au secours duquel j’avais foncé un instant auparavant, aidé du sous-lieutenant Brunel qui me sort de l’épave. Ils me posent immédiatement un garrot.
Puis l’aide des artilleurs, après quelques kilomètres en auto, c’est Compiègne, l’hôpital, la table d’opérations au milieu des mourants et des morts de la gigantesque bataille en cours, et la voix du chirurgien qui me dit : « Mon petit, il me faut couper ce bras-là ! »
Eh bien ! Cette aviation de chasse, c’était un sacré métier, un métier de bêtes, et il fallait que nous l’aimions rudement puisque, trois semaines après, la manche droite vide, je ne concevais pas la possibilité de vivre sans mes camarades, sans l’escadrille, sans mon avion, sans l’alcool des combats qui rend la vie dix fois plus intense et plus belle.
Un peu plus tard, j’avais la joie de piloter de nouveau un monoplace de chasse du seul bras gauche ! Un beau Spad de 300 CV, équipé exprès pour moi, avec toutes les commandes sur le manche, les détentes des mitrailleuses, les gaz, la manette altimétrique. Exactement ce qu’il fallait pour vous redonner le goût de la vie, et en l’occurrence de la mort aussi, et vous faire croire que rien n’était arrivé...
Pierre de Fleurieu, 1933
ouaf ouaf ! bon toutou !!
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Merci, dur et cruel récit,
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Cher cro,
oui en effet dur et cruel, comme tu dis... c'est poignant de lire ce que ces tout jeunes pilotes (de Fleurieu avait 18 ans dans cette histoire qu'il raconte) dans leur machine effarante (voir les recommandations du capitaine Hugues au jeune de Fleurieu avant son premier vol de guerre) faisaient et combien ils appréciaient le pilotage et, même, le combat. J'en ai d'autres de ces récits autobiographiques que je vous livrerai dans quelques temps. Leur auteur n'est pas toujours de l'avis un peu "accro au combat aérien" de de Fleurieu!
Philippe
ouaf ouaf ! bon toutou !!
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