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ArchéoAéro - Archéologie Aéronautique?
Qu’est-ce donc ? Comme en archéologie, on fouille ... dans les vieux numéros des revues spécialisées d'il y a 80-90-100 ans, pour dénicher des choses intéressantes (j'espère) à raconter ...
Les précurseurs de l’aviation méconnus : Gustave Whitehead (1874-1927)
Première Partie
Bonjour cher(e)s ami(e)s,
L’un d’entre vous m’a proposé, il y a quelques temps, de consacrer l’une de mes " histoires de l’oncle philouplaine" à l’un des précurseurs de l’aviation le plus méconnu, à savoir un allemand né le 1er janvier 1874 à Leutershausen en Bavière sous le nom de Gustav Weisskopf et devenu Gustave Whitehead après qu’il eut émigré aux Etats-Unis en 1893 et où il est mort en 1927. Et nous voilà d’un coup plonger dans une intense controverse outre-Atlantique qui dure depuis près de 80 ans ! Je ne parlerai pas ici de notre cher Clément Ader, moins méconnu mais si peu reconnu.
Qui donc était ce Gustave Whitehead ? Allez donc, chers amis, sur la toile et vous trouverez quantités de sites, très majoritairement anglosaxons, qui en parlent sur des pages et des pages. En France, je vous conseille vivement de vous procurer l’excellent livre de Toni Giaocoia, un authentique tourangeau malgré son nom aux consonances latines : Une autre histoire de l’aviation. Cet auteur consacre un chapitre entier, remarquablement documenté et écrit en français, à Gustave Whitehead.
Comme l’écrit M. Giaocoia, dans l’en-tête de son chapitre sur Whitehead : "Gustave Whitehead aurait volé avant les frères Wright, sans catapulte, et sans effet de sol, contrairement au Flyer !". Notez l’usage du conditionnel … toute la controverse est là : est-ce que Whitehead, oui ou non, a pu s’élever dans les airs dans un appareil plus-lourd-que-l’air autopropulsé qu’il aurait réussi à diriger et, ce, deux ans et demi avant le vol à Kittihawk des frères Wright, le 17 décembre 1903 ?
Oui, vous avez bien lu : deux ans et demi avant les Wright et, donc, un certain 14 août 1901 à Bridgeport dans le Connecticut.
Et, donc, l’un d’entre vous m’a contacté pour me demander de trouver des textes authentiques (et donc anciens) et de les traduire en français. Ce que j’ai fait. Comme d’habitude, je suis la même procédure : je vais piocher dans les vieilles revues spécialisées dans l’aéronautique, voire dans des journaux et revues du début du 20ème siècle, et surtout ici les américaines car ce Weisskopf/Whitehead aurait surtout réalisé ces vols dans le Connecticut, voire même, d’après certains textes et sites internet, à Pittsburgh en avril ou mai 1899, et donc cinq ans et demi avant le vol des Wright.
Je vous parlerai tout simplement de la controverse, toujours d’actualité. D’une part, il y a ceux qui sont certains que Gustave Whitehead a bien fait le premier vol réussi d’un avion ce 14 août 1901. Et, face à eux, ceux, bien plus nombreux, qui pensent que ce vol de Whitehead est une invention purement et simplement et que ce sont bien les frères Wright qui ont réussi le premier vol d’un avion de l’histoire.
J’ai trouvé de nombreux textes, tous en anglais. Je vais vous les présenter en plusieurs parties. Voyons cela de plus près avec les quatre premiers articles parus dans des revues américaines sur ce sujet, que je vous ai traduit et que je livre à votre perspicacité. À vous de vous faire une opinion.
J’ai inséré entre ces articles quelques commentaires personnels. Les illustrations sont, pour la plupart, celles des articles d’origine.
Pour l’aventure des frères Wright et leur approche scientifique du vol motorisé, veuillez vous reporter à un post que j’avais fait sur ce forum : Les frères Wright 25 ans après.
Bonne lecture !
Philippe
L’aéroplane n°22 de Gustave Whitehead avec lequel il fit ses soi-disant vols…
PREMIER TEXTE – 1935
Popular Aviation Numéro de janvier 1935
Introduction de ma part
Ce premier texte est la traduction d’un article paru dans le mensuel américain spécialisé dans l’aviation : Popular Aviation, très lu à l’époque. Il est paru dans le numéro de janvier 1935, soit 34 ans après les faits qu’il relate. On peut dire, en quelque sorte, que c’est l’article par lequel le scandale est arrivé. C’est par cet article que Whitehead "a été arraché à un obscur coin des poubelles de l’histoire pour voir son nom connu du grand public" comme l’a écrit l’un des plus fameux historiens américains de l’aviation : Caroll F. Gray.
L’auteure principale de cet article de Popular Aviation est Mme Stella Randolph qui, deux ans plus tard, en 1937, publiera un livre sur Whitehead intitulé Lost Flights of Gustave Whitehead (Les vols oubliés de Gustave Whitehead). C’est d’ailleurs pour cette raison que l’article original porte en sous-titre la mention "avec copyright", une mention vraiment exceptionnelle dans les articles de cette époque. Elle est là pour indiquer aux lecteurs que cet article présente de grandes parties d’un livre à venir.
Le coauteur, Harvey Phillips, était un jeune homme passionné d’histoire de l’aviation qui avait notamment travaillé à classer la très riche collection de documents sur les débuts de l’aviation et sur les inventions mécaniques liées à l’aviation d’Alexander Graham Bell, l’inventeur du téléphone. Phillips avait été tellement efficace et avait une telle mémoire que Stella Randolph l’appelait : "ma bibliothèque ambulante". Les informations sur Harvey Phillips sont très rares.
On verra une belle ambiguïté dès le texte de la rédaction de Popular Aviation justifiant la publication de cet article. On y lit dans le premier paragraphe que Whitehead s’est approché d’être le premier à voler sur un aéroplane. Puis, quelques lignes plus loin, on lit dans ce même en-tête que Whitehead a pu effectuer le premier vol longtemps avant les frères Wright … Alors il s’en est seulement approché ou bien il l’a réussi vraiment ?
Je vous laisse en juger ! Philippe.
Couverture du numéro de janvier 1935 de Popular Aviation
Titre de l’article : Did Whitehead precede Wright in world’s first power flight ?
Whitehead a-t-il précédé Wright pour le premier vol motorisé au monde ?
Par Stella Randolph & Harvey Phillips
(Copyright, 1934)
Popular Aviation, Volume 16 N°1, pages 22 et suivantes
En-tĂŞte de l'article en page 22.
Encadré de la rédaction de Popular Aviation
(très rare également que la rédaction de Popular Aviation place un encadré pour l’un des articles publiés…)
Cet article, qui est le résultat de nombreuses recherches menées par les auteurs, sera une révélation pour beaucoup de nos lecteurs. Il s'agit de la chronique d'un des premiers expérimentateurs et inventeurs dans le domaine de l'aviation qui, pour d’obscures raisons, n'a jamais reçu le crédit qu'il méritait pour ses inventions. Si Gustave Whitehead n'est pas l'inventeur original de l'aéroplane, il est passé si près de l'être qu'il mérite une reconnaissance sans limite.
Comme les autres inventeurs de l'aviation, il était un simple mécanicien, pas un ingénieur. C'est l'une des raisons de la praticabilité de ses constructions qui lui a permis de s’envoler bien avant que les frères Wright ne volent à Kittihawk avec un avion à moteur.
Traduction de la légende. L’avion n°22 dans lequel Gustave Whitehead a fait un cercle au-dessus de Long Island Sound, le 17 janvier 1902. Whitehead et sa fille sont sous l'aile (NdT – C’est l’une des photos les plus connues de G. Whitehead et de son aéroplane).
Texte de Stella Randolph & Harvey Phillips
Avant la fin de 1901, Gustave Whitehead avait déjà construit cinquante-six aéroplanes différents. Les premiers furent construits sans numérotation et c'est pourquoi, en août 1901, la machine en construction ne portait que le n°21. Un jour, ce n°21 fut poussé dans la rue depuis l'arrière-cour de la modeste maison, 241 Pine Street, qui était alors la maison des Whitehead. Pendant des semaines, les femmes du quartier s'étaient exclamées sur la finesse de la soie qu'elles cousaient pour les ailes de cet avion. Même un jeune homme, qui rôdait dans le quartier, avait été enrôlé pour aider à la couture !
Aucun syndicat ni la NRA ne fixait les salaires, car le jeune homme recevait vingt cents quand les femmes en recevaient quinze (NdT – Randolph fait ici référence non pas à la National Rifle Association -NRA- mais à la National Recovery Administration que Roosevelt venait d’établir deux ans plus tôt pour relancer l’économie et l’emploi aux États-Unis).
Les ailes soigneusement repliées contre la petite coque du fuselage, en forme de bateau, recouverte de toile, le n°21 est poussé à travers la porte du jardin dans la rue. À l'intérieur de sa coque, deux moteurs bourdonnaient, l'un pour propulser les roues sur lesquelles il devait rouler au sol, l'autre pour faire tourner les hélices lorsque la machine serait en l'air.
Traduction de la légende : Le moteur à vapeur à deux cylindres construit et utilisé par Gustave Whitehead dans son n°21. L'alésage était de 1 pouce, et la course d'environ 1,625 pouces (1 5/8), le mouvement étant communiqué à l'arbre par une tige de piston, une traverse et une bielle. Ce moteur était construit en tôle et en barres d'acier, les pièces étant brasées ou câblées. Les dimensions générales du moteur sont de 12 pouces sur 6 pouces sur 1 5/8 pouces. Une construction très simple et légère.
Tous les gamins du quartier arrivèrent en courant, tous attirés par l'insolite. Le petit Alexander Gluck était là , ainsi que Louis Darvarich, un ami plus âgé de M. Whitehead, qui avait travaillé avec lui bien avant leur arrivée à tous deux à Bridgeport en 1900 (NdT – Whitehead et Darvarich s’étaient connus à Pittsburgh quelques années plus tôt.). D'autres spectateurs étaient venus en masse, en criant et en contemplant avec des yeux ronds ce monstre. Pleins d'émerveillement et sifflant à travers leurs dents, ils virent la créature aérienne s'élancer sur la route, quitter le sol et passer à quelques pieds au-dessus de leur tête en suivant le chemin de terre qu’était alors Pine Street.
Traduction de la légende : Louis Darvarich, qui avait volé avec Gustave Whitehead dans un de ses aéroplanes propulsé par un moteur à vapeur à Pittsburgh, en Pennsylvanie, en 1899. Il était le pompier qui alimentait la chaudière en charbon de bois qui produisait, à bord de l’aéroplane de Whitehead, la vapeur pour ce vol. Malheureusement, il fut gravement brûlé lors d'un accident.
Mais trop d'enfants courraient partout, s’ajoutant aux autres dangers de ces essais. Aussi, matin après matin, les tests de l’aéroplane furent effectués bien avant que beaucoup de petits ne soient réveillés, ou même avant que beaucoup de leurs aînés ne le soient. Même à ces heures matinales, un jour, Gustave Whitehead eut le cœur au bord des lèvres, il avait manqué de heurter un petit garçon qui courait avec excitation vers son avion en mouvement au sol.
Lors de la plupart de ses vols d'essai, un aide-mécanicien accompagnait Gustave Whitehead. Anton Pruckner se souvient bien de certains de ces vols. L'un des plus longs avait été effectué en août 1901, et faisait environ un mille et demi de long (Ndt -Près de trois kilomètres tout de même quand le premier vol des Wright avait été de 40 à 285 mètres), c’est ce qu’avait écrit dans une lettre Gustave Whitehead au rédacteur en chef de la revue "American Inventor", qui publia cette lettre dans son édition du 1er avril 1902.
La Phillips Aeronautic Library (NdT – Stella Randolph appelle ainsi sa "bibliothèque d’aéronautique" son coauteur, Harvey Phillips) m'a fourni les informations qui m'ont conduit à cette lettre de Whitehead et aussi sur cette longue traque, qui n'est pas terminée, mais qui continue à s’enrichir en révélant toujours plus le génie et l’habileté réels de Gustave Whitehead.
L'avion utilisé en 1901 avait été construit par M. Whitehead dans son intégralité ; le moteur et l'avion étaient de sa propre conception. C'était un monoplan avec un moteur quatre cylindres à deux temps situé à l'avant. L'allumage était de type "make and break" et des batteries sèches Columbia étaient utilisées. Le réservoir d'essence était alimenté par gravité et contenait deux gallons d'essence. Le corps de la machine était construit en pin, en épicéa et en bambou, renforcé par des tubes d'acier et des cordes à piano. Les ailes étaient recouvertes de soie japonaise, vernies et fixées aux montants en bambou avec du ruban blanc. Les ailes s'étendaient derrière les deux hélices, et étaient soutenues par des cordes à piano allant jusqu'à un mât central posé dans la coque-fuselage. L'ensemble pesait environ 800 livres (soient 360 kg). Avec M. Whitehead à bord, le poids fut porté à environ 965 livres (soient 435 kg).
Le vol d'un kilomètre et demi, effectué le 14 août 1901, s'est déroulé à Lordship Manor, aujourd'hui une banlieue de Bridgeport, et a eu lieu quelque part à proximité du site de l'actuelle usine d'avions Sikorsky (NdT – Cette usine n’existe plus mais a été remplacé par l’aéroport municipal de Bridgeport : le Sikorky Memorial Airport ou KXBB.). Junius Harworth, alors jeune garçon assistant de M. Whitehead, se souvient en détail de ce vol.
Traduction de la légende : Gustave Whitehead, pionnier de l'aviation, inventeur et pilote. Il a construit 56 avions avant 1901 et a effectué plusieurs vols avec succès.
Gustave Whitehead était modeste sur ses réalisations. Il recherchait la perfection. Quand il avait volé, cela ne suffisait pas. Il devait faire mieux. En fait, Gustave Whitehead n'était jamais satisfait. Déjà , petit garçon, il avait fabriqué sa première paire d'ailes et tenté un vol en secret avec elles. Il était toujours insatisfait de ses propres inventions.
Le grand Lillienthal lui-même était son ami et son modèle ; réussir un vol plané était à cette époque son objectif. Alors qu’enfin il réussit à planer, Gustave Whitehead, toujours insatisfait, pensait au moment où un moteur propulserait son planeur. C’est avec un moteur à vapeur qu’il réussit cela pour la première fois (NdT – Il s’agit ici du soi-disant vol de Pittsburgh en 1899 avec Louis Darvarich. Je reviendrai sur ce point très controversé dans un futur post), mais ce moteur était trop lourd pour être vraiment pratique et il fallait une trop grande quantité de carburant pour aller loin. La poudre à canon, l'ammoniac, l'acétylène, l'essence et même le kérosène servirent de carburant à tour de rôle.
Et quand il eut enfin maîtrisé la construction de moteurs légers et qu'il ait effectué de nombreux vols encore et encore, il sut qu'il n'avait toujours pas atteint sa quête ultime. Les avions devaient s'élever à la verticale dans les airs puis ensuite se déplacer dans telle ou telle direction ! C’est ce que Gustave Whitehead déclara constamment, jusqu'au jour de sa mort, et pour cela il travailla dur pendant des années.
Il était l'un des rares à l’époque à fabriquer à la fois son avion et ses moteurs. Il était si doué pour la construction de moteurs qu'il aurait pu amasser une petite fortune rien qu’en fabriquant des moteurs s'il avait voulu se cantonner à cela, mais le génie d'un inventeur ne peut être ainsi restreint. Il construisit des moteurs rotatifs, des moteurs de plus en plus puissants et même un engin testeur pour déterminer la poussée que ses moteurs développaient.
Son testeur de puissance, aussi grossier fut-il, reste aujourd'hui une preuve supplémentaire du génie de cet homme remarquable. Whitehead a réalisé une grande partie de ce testeur de ses propres mains. Parfois, un modèle en bois d’une partie du testeur était envoyé dans un magasin pour être transformé en une pièce métallique qu’il en pouvait réaliser lui-même. Même sa maison, dans laquelle sa veuve vit encore aujourd'hui, a été construite de ses propres mains avec l'aide de son jeune fils. Il était essentiellement un mécanicien, plus apte à réaliser ses idées en bois et en métal qu'à les travailler sur papier ou sur plans.
C'est ainsi que ce même Gustave Whitehead, au lieu de faire connaître son vol du 14 août 1901 au plus grand nombre, ou tout autre vol qu’il avait réussi avant, se limita à la tâche qu'il s'était lui-même fixée. Alors qu'il s'efforçait d'atteindre la perfection aux États-Unis, Santos Dumont, en France, poursuivait sans relâche son objectif de construire un dirigeable à moteur à essence, ou un "blimp" comme on dit, de façon assez méprisante, aujourd'hui.
L'après-midi du 31 octobre 1901, un groupe de personnages importants, barbus en frac et chapeau haut-de-forme, apparut au Parc d'Aérostation de Saint-Cloud. Ils représentaient l'Aéroclub de France. En plus de la foule des officiels, une foule s'était rassemblée. Ils étaient tous venus voir Santos Dumont s'élever dans les airs, ce qu'il fit à 2h43 de l’après-midi dans son sixième dirigeable, et se déplacer en direction de la Tour Eiffel.
L'intérêt de Santos Dumont pour la Tour Eiffel résidait dans l'offre de 100 000 francs que M. Henry Deutsch avait faite comme prix pour le premier engin aérien à moteur à essence qui, partant du Parc d'Aérostation de Saint-Cloud, ferait le tour de la Tour et reviendrait à son point de départ, le tout dans un délai inouï de moins d'une demi-heure. Santos Dumont le fit, remporta le prix et empocha les 100 000 francs, il avait réussi son exploit avec seulement 29 secondes d'avance.
Au-dessus de l'Angleterre flottait un ballon dans lequel se trouvaient les honorables C.S. Rolls, Frank Hedges Butler et sa fille Miss Hedges Butler, tous citoyens du Royaume-Uni. En flottant dans les airs, ils réfléchissaient et cette réflexion aboutit à la création d'un aéroclub pour leur île natale. Et l'actuel Royal Aero Club fait remonter ses origines à ce vol en dirigeable du 24 septembre 1901.
Frank Hedges Butler (1855-1928) lors d’un vol en ballon dirigeable en 1907. © Vanity Fair
Tout au long de cette même année 1901, le capitaine Ferber, en France, et Octave Chanute, aux États-Unis, poursuivaient leurs recherches sur les planeurs et cherchaient le moyen de réussir à les faire tourner dans les airs pour effectuer des déplacements circulaires. À l'automne de cette même année, à Kittihawk, les frères Wright essayaient également un planeur, un biplan dont la surface alaire était énorme, 308 pieds carrés (NdT – Près de 29 m2). Cette surface était bien supérieure à celle qu'ils avaient utilisée lors de leur premier vol en planeur à Kill Devil Hill, le 27 juillet 1901.
Avant l'arrivée de l'hiver, les Wright pouvaient dire qu'ils avaient appris une chose cette année-là , à savoir qu'en déplaçant son corps pendant qu'il volait avec le planeur, le pilote pouvait faire parcourir à sa machine une distance pouvant atteindre 300 pieds (Ndt – Un peu plus de 90 mètres). Malgré cela, ils étaient très découragés … au point que Wilbur déclara même : "Il faudra encore mille ans avant que l’Homme ne vole !". Ce furent cependant les constants encouragements de M. Chanute, qui contribuèrent beaucoup à maintenir les deux frères à leur travail de recherches pendant l'hiver 1901-1902.
C'est également en 1901 que Samuel Pierpont Langley, ayant réalisé et piloté des modèles d'avions à vapeur et démontré ainsi les lois nécessaires de l'aérodynamique, remarqua : "J'ai achevé la partie du travail qui me semblait spécifiquement mienne - la démonstration de la faisabilité d'un vol mécanique - et pour l'étape suivante, qui est le développement commercial et pratique de l'idée, il est probable que le monde se tournera vers d'autres".
Cet hiver 1901-1902 fut très chargé pour Gustave Whitehead. Dans l'après-midi du 17 janvier 1902, la météo semblait prometteuse. C'était le jour que lui et ses assistants attendaient, ils sortirent alors tranquillement leur nouvel avion, le N° 22, pour aller sur la plage à l'extérieur de Bridgeport et y démarrer son moteur à kérosène. L'intention était de faire quelques courts vols d'essai, au-dessus des eaux du Sound (NdT – Il s’agit ici du détroit -un Sound- qui sépare la terre ferme du Connecticut de l’île de Long Island).
Gustave Whitehead prit place aux commandes de la machine à l’intérieur de la coque du fuselage, les hommes lui donnèrent une franche poussée et l’aéroplane roula sur ses trois roues et c'était parti, l’avion montait et volait ! L'avion fonctionna alors si admirablement que son propriétaire poursuivit son vol sur une distance de deux miles au-dessus du Sound en suivant la ligne de rivage de la plage (NdT – soient un peu plus de 3 km … début 1902 !), bien qu'il n'ait eu l'intention que de faire des vols courts de pas plus d'un demi-mile. Une fois la machine dans l’eau, les hommes la hissèrent jusqu'au rivage. C’est alors que, tout à coup, Gustave Whitehead leur proposa de traverser le Sound (NdT – À cet endroit de Bridgeport, le détroit mesure 21 km de large).
Aussitôt dit, aussitôt fait. Il redécolla et, à une hauteur de 200 pieds, il s’élança au-dessus du Sound et fut assez vite hors de vue de ses assistants. En vol au-dessus des eaux du Sound, il lui vint à l'esprit qu'il pourrait être intéressant de voir s'il pouvait faire tourner sa machine et ainsi revenir à son point de départ. Il tourna lentement le gouvernail et fit tourner une hélice plus vite que l'autre. Avec un frisson, il réalisa que son plan fonctionnait très bien. La machine faisait une boucle en plein ciel.
Répondant de façon stable, l’aéroplane vira régulièrement et rapidement pour pointer vers son point de départ. Alors qu'il s'approchait de ses assistants sur le rivage, il ralentit la vitesse de l'avion et descendit progressivement une nouvelle fois pour se poser doucement dans l'eau près du rivage. Il avait parcouru une distance d'environ sept miles (NdT – Soient 11 km, qu’aucune autorité n’homologua hélas… alors qu’il faudra attendre septembre 1905 pour que les frères Wright parcourent 8 km avec leur Flyer III, mais, là , le vol fut homologué), sans traverser le détroit, mais il avait réussi le tout premier virage en l'air d’un plus-lourd-que-l’air. Ainsi, ce 17 janvier 1902, Gustave Whitehead réalisait ce que Langley avait suggéré : d'autres devraient démontrer la faisabilité du vol mécanique.
Qu'il ait accompli cet exploit, Gustave Whitehead en a lui-même témoigné dans une lettre au rédacteur en chef de la revue "American Inventor", lettre à laquelle le rédacteur en chef a accordé suffisamment de crédit pour la publier. Ce fait est encore corroboré par la déclaration sous serment de l'assistant de Whitehead, présent à cette occasion. Une fois de plus, Gustave Whitehead avait entrepris de parcourir une certaine distance en avion et avait dépassé toutes les attentes.
L’aéroplane utilisé à cette occasion, le N°22, était similaire à celui utilisé en août 1901, le N°21. Le frisson de ce long vol au-dessus du Sound avait dépassé tous les précédents, sauf peut-être celui du printemps 1899, dans la banlieue d'Oakland à Pittsburgh, où un aéroplane beaucoup plus grossier, fonctionnant à la vapeur, les avait transportés, lui et son assistant, sur une distance de près d'un mile.
Pour ce vol de 1899, les pompiers de la compagnie voisine, la compagnie N°24 de Pittsburgh, avaient prêté leur assistance le temps de démarrer la machine, tandis que l'assistant alimentait en charbon la flamme qui chauffait une simple bouilloire ménagère où l'eau se transformait en vapeur, vapeur qui faisait tourner le moteur de l’aéroplane. La boîte à feu avait une feuille d'amiante à sa base, puis une feuille de fer par-dessus, tandis que ses parois étaient faites d'argile. Le moteur lui-même était un deux cylindres de 4 pouces d'alésage et de 10 pouces de course.
Personne ne s'attendait à ce que la machine aille bien loin en cette journée mouvementée. Une distance de quelques dizaines de mètres aurait été suffisamment convaincante à l'époque. Mais au fur et à mesure qu'ils avançaient et montaient, dirigés par Gustave Whitehead aux commandes à l'avant, ils dépassaient la distance prévue à l'origine et se retrouvèrent tout à coup à voler en direction d'un grand immeuble en briques de trois étages. Craignant de faire une embardée, ils ne pouvaient que voler tout droit. Il n'y avait aucun espoir, à savoir qu'ils puissent se dégager par le haut en survolant la maison. Mais ce fut l’échec. L’aéroplane percuta l’immeuble et chuta. Il tomba et s’écrasa au sol, presque totalement démoli, les deux passagers survécurent. Le pompier qui était à l’arrière se contorsionnait de douleur car toute sa jambe était brûlée. Les vitres indiquant le niveau d'eau dans les chaudières s'étaient brisées lors du choc, et la vapeur avait fusé et enveloppé le pauvre homme.
Alors que ce spectacle inhabituel se déroulait à Pittsburgh en 1899, deux jeunes hommes testaient avec zèle des modèles de planeurs dans leur maison de Dayton, dans l'Ohio. Orville et Wilbur Wright n'avaient pas résolu de façon satisfaisante à leurs yeux un problème qui les préoccupait, un problème de contrôle et d'équilibrage des machines ailées dans les airs, et leur premier planeur n'était encore qu'un rêve. En Allemagne, Graf von Zeppelin supervisait activement la construction de son dirigeable rigide, tandis qu'en France, Santos Dumont testait des dirigeables à moteur à essence et que le capitaine Ferber expérimentait des machines plus lourdes que l'air.
Le printemps passa puis l'été, et un jour d’octobre pluvieux, en 1899, une foule se tenait sous la pluie à Stanford Park, près de Market Harborough, en Angleterre, pour voir Percy Pilcher faire son premier essai de planeur à moteur. Ce jour-là , Percy Pilcher regarda le ciel et secoua la tête, quelque peu désabusé. On ne pouvait pas se fier au temps qu'il faisait. Mais la foule s'agitait. L’attente qui se prolongeait sous une pluie froide ne tardèrent pas à convaincre cette foule de la justesse de la logique qu'ils aimaient répéter : "Si l'homme avait été destiné à voler, Dieu lui aurait donné des ailes".
Percy S. Pilcher (1866-1899) pionnier de l’aviation anglais, mort dans le crash de son planeur à moteur.
Pour ne pas décevoir complètement la foule, Pilcher se prépara à faire un vol avec son planeur "Hawk", une machine éprouvée et fiable, comme il l'avait fait de nombreuses fois auparavant. Tout était prêt. Pilcher se mit en place et la machine fut remorquée rapidement au-dessus du sol, lorsque le câble de remorquage se rompit brutalement. La foule murmura. La corde fut réparée et un nouveau départ fut donné.
Son souffle comme suspendu, la foule vit Pilcher s’élever dans les airs et y voler gracieusement, suspendu à son planneur. Il s’éleva alors jusqu'à une hauteur de près de trente pieds. Quand, soudain, un des fils de guidage dans la queue du planeur cassa net. La queue s’écroula. Et devant les yeux de la foule, qui ne pouvait s'empêcher de croire ce qu'elle voyait, Pilcher et son "Hawk" descendirent droit sur la foule. Deux jours plus tard, Pilcher rendit l’âme sans avoir repris conscience, il est l'un des premiers martyrs de l'aviation.
Comme Gustave Whitehead, Pilcher avait conçu et construit lui-même son propre moteur et son propre aéroplane. Son planeur, qui aurait dû être motorisé s’il avait vécu suffisamment, était un triplan, tandis que l'avion utilisé par Gustave Whitehead à Pittsburgh au printemps précédent était un monoplan. Le vol de Gustave Whitehead avait également été bref, pas plus d'un demi-mile, soit moins de 2 640 pieds. Pourtant, c'est plus de quatre ans plus tard que le vol de Kittihawk du Flyer, se fit sur seulement 852 pieds et pendant 59 secondes. C’est ce vol qui a finalement été reconnu et acclamé par le monde entier.
Le mécanicien-pompier, grièvement brûlé, alors qu'il restait des semaines à l'hôpital à se remettre de ses blessures, repensait sans cesse au plaisir qu’il avait éprouvé lors de ce vol de Pittsburgh. Un pauvre réconfort sans doute, mais cela stimula l'enthousiasme qu'il avait partagé avec son ami inventeur, Gustave Whitehead. Une fois remis, ils prirent des tours pour travailler l’un après l’autre dans une mine de charbon à Wilcox, en Pennsylvanie. Tandis que dans ses temps libres, Whitehead réparait des armes à feu et faisait divers petits boulots pour aider à gagner les dollars nécessaires à ses expérimentations. Avec une jeune famille à charge, l'argent n'était pas abondant dans le foyer de Gustave Whitehead, mais le véritable enthousiasme inventif n'est pas facile à abattre.
Mal informés par les soi-disant scientifiques de l'époque sur les forces comparatives de différents métaux sous la pression de la vapeur, ces deux hommes, Whitehead et Darvarich, testèrent, chaudière après chaudière, différents métaux. Et les chaudières les unes après les autres avaient été réduites en miettes alors qu'ils essayaient et essayaient encore d'obtenir l'exactitude mathématique et scientifique nécessaire à un vol motorisé.
Les voisins ne partageaient pas forcément l'enthousiasme de leurs amis inventeurs à ce stade de leur travail, d'autant plus qu'une grande partie des travaux expérimentaux devaient être effectués la nuit, après les heures de travail, et que de nombreuses vitres voisines se brisaient en plein nuit en même temps que les chaudières éclataient chez Whitehead. Mais ces essais permirent aux inventeurs de trouver une bonne chaudière qui, quelque part, répondait presque à toutes leurs exigences.
Un modèle avait d'abord été réalisé pour les premiers essais, puis avait été construit l’aéroplane qui a vraiment volé. Aujourd'hui, le modèle semble un peu bizarre pour être adapté à la propulsion d'un avion, mais il est apparemment aussi solide et prêt aux vols que le jour où Gustave Whitehead l'a fabriqué dans son atelier.
Lorsque l'ami et assistant de Gustave Whitehead fut suffisamment rétabli pour quitter l'hôpital, portant encore la cicatrice de sa brûlure qui devait être pour la vie sa seule médaille d'honneur pour avoir participé au premier vol en avion de l'histoire, les deux hommes résolurent de déménager de Pittsburgh à Bridgeport, dans le Connecticut, où ils espéraient trouver un emploi plus approprié dans une usine. Ensemble, ils allèrent à Bridgeport à bicyclette et y trouvèrent enfin l'emploi souhaité.
Gustave Whitehead fit venir sa famille pour le rejoindre. Nous étions en 1900. Bien que l'emploi ait été bien meilleur à Bridgeport qu’à Pittsburgh, le temps libre pour se livrer à des ambitions inventives fut encore plus rare. Louis Darvarich, l'ami mécanicien de Whitehead qui l’avait accompagné dans son premier vol à Pittsburgh, était marié aussi. Leurs deux familles, de plus en plus nombreuses, obligeaient les deux hommes à consacrer moins de temps et de fonds aux inventions que le cerveau de Gustave Whitehead produisait en rafale.
Souvent, cependant, les exigences du génie étaient trop fortes. Mme Whitehead et ses enfants cherchaient à s'engager pour augmenter les revenus de la famille, tandis que dans la fièvre de la certitude d'un succès qui compenserait toutes ces privatisations, Gustave Whitehead consacrait sans relâche son temps et son argent à ses expériences.
Presque tous les ateliers de mécanique de Bridgeport étaient très heureux de l'employer quand le besoin de fonds supplémentaires le poussait à prendre un emploi, car Whitehead était un expert mécanicien. Mais il ne restait que le temps nécessaire pour acquérir ce que ses besoins immédiats exigeaient et il s'en allait, retournant à ses inventions bien-aimées.
Des hommes capables, attirés par son enthousiasme, vinrent le visiter, pour voire, écouter, contribuer un temps à ses expériences. Mais ces visiteurs se découragèrent et furent même désappointés lorsque son insistance à la perfection poussait Gustave Whitehead à détruire l'un après l'autre ses aéroplanes et à en recommencer un nouveau.
Pour les enthousiastes, il semblait suffisant que son invention vole. Pour un public qui ne pouvait alors pas envisager un vol au-delà d'un quart de mile, de telles démonstrations auraient été assez convaincantes. Mais les vols brefs, les départs en courant, les matériaux trop lourds et les rêves à moitié réalisés n'étaient pas faits pour Gustave Whitehead. Il y eut des querelles. Des accusations injustes de la part d’enthousiastes de l’aviation et d’autres pionniers de l’aviation ont parfois été portées contre Whitehead. Mais malgré tout, Gustave Whitehead est resté ferme dans sa recherche de l'aéroplane parfait.
De jeunes garçons et des hommes, des mécaniciens sans moyens, étaient ses assistants les plus enthousiastes. Ils s’attardaient sur leur travail toute la nuit jusqu'au petit matin, absorbés par le même intérêt qui animait leur ami inventeur, tandis qu'ils lui glanaient d'inoubliables leçons de mécanique.
Après avoir survolé le détroit de Long Island ce 17 janvier 1902, Gustave Whitehead décida de ne plus voler ce jour-là . La météo devenait menaçante et la journée touchait à sa fin. Malgré l'enthousiasme de ses assistants, l'aéroplane fut ramené dans l'arrière-cour de la maison des Whitehead à Pine Street.
L'hiver vint pour de bon. Pendant les tempêtes de neige, l'aéroplane resta tout l’hiver sans protection dans le jardin. Whitehead n'avait pas d'argent pour lui construire un abri, car peu de temps auparavant, lui et son financeur s'étaient disputés. Le printemps arriva et le moteur était en ruine ; l'aéroplane lui-même n'était plus en état de marche au vu des ravages de l'hiver. Il n'y avait rien d'autre à faire que d'en construire un nouveau.
En avril 1902, John Whitehead, un de ses frères, arriva de Californie et se porta volontaire pour aider son frère dans la construction d'avions. Mais comme ils n'avaient pas assez d'argent, ils trouvèrent tous deux un emploi et continuèrent à travailler sur le nouvel aéroplane la nuit du mieux qu'ils pouvaient. Quand il n'y avait pas assez d'argent pour construire l’aéroplane, le vol à voile pouvait encore être accompli et Gustave Whitehead devint un pilote de planeur très compétent.
Un jeune journaliste, nommé MacNamara, estima que Gustave Whitehead et "son délicieux dialecte Weber and Fields" était un cas vraiment intéressant (NdT - Joe Weber (Joseph Weber et Lew Fields était un duo comique américain de la fin du 19ème siècle et du débit du 20ème siècle, connu pour interpréter des personnages balourds qui parlaient américain avec un fort accent néerlandais.). Aujourd'hui, MacNamara est devenu le rédacteur en chef du Times de Bridgeport. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu'il s’était déplacé un jour chez Whitehead juste à temps pour voir un de ses jeunes assistants faire un vol en planeur. MacNamara avait alors demandé l’autorisation de faire de même, et son souhait avait été exaucé. Il avait fait un vol court sur le planeur de Whitehead. Ce planeur à trois étages était l'une des plus intéressantes inventions de Whitehead.
Pendant ce temps-là , en septembre et octobre 1902, les frères Wright pensaient qu'ils maîtrisaient assez bien l'art du vol à voile, car ils avaient déjà effectué près de mille vols planés, dont certains de plus de 600 pieds de long (NdT – soient près de 180 mètres). L'étape suivante consistait à fabriquer un moteur pour leur avion.
Pendant ce temps, à Bridgeport, un personnage très pittoresque apparut chez les Whitehead. Il s'agissait du colonel Buffalo Jones, si bien caractérisé par Zane Grey. Buffalo Jones avait ses propres idées d'inventions et il avait aussi son idée sur qui pourrait construire le type de moteur qu'il avait en tête. Le génie de Gustave Whitehead lui plaisait, et comme ni l'un ni l'autre ne connaissait le coût probable d'un tel travail, le chiffre convenu entre eux s’avéra trop petit pour que Gustave Whitehead puisse réaliser un quelconque profit à l'issue de ces travaux.
De gauche Ă droite : Pawnee Bill, Buffalo Bill, et Buffalo Jones.
Il se consacra ensuite à la construction de moteurs pour d'autres pendant un certain temps, espérant ainsi obtenir des fonds pour son propre travail. Mais ses bénéfices étaient faibles et les progrès de son propre moteur étaient lents. Lorsqu'il eut terminé son nouveau moteur pour son nouvel aéroplane, il s’avéra ne pas être assez puissant pour soulever l'avion.
Pourtant, il s'agissait d'un moteur à essence à quatre cylindres de quarante chevaux. Pour déterminer la poussée nécessaire, il testa son aéroplane à une locomotive qui le remorquait sur une certaine distance. Constatant qu'un moteur de soixante chevaux était nécessaire, les frères Whitehead se remirent au travail.
Pour s'assurer d'avoir suffisamment de puissance à disposition, les deux frères Whitehead conçurent un moteur en V de 200 chevaux, huit cylindres, quatre temps. C’était l’un des premiers moteurs d’aviation avec ses cylindres arrangés en V. Ils étaient encouragés maintenant, car un nouveau bailleur de fonds de New York les avait sollicités et ils pensaient alors que le succès était à leur portée. Mais ce nouveau bailleur de fonds les entraîna à l’échec malgré eux. Impatient, il insista pour que le nouveau moteur soit testé d’abord sur un bateau sur le Long Island Sound. Et dans son empressement, il fit l'étincelle d’allumage trop tôt, le bateau chavira et coula, et le nouveau moteur avec.
Une fois encore, Gustave Whitehead se remit à l’ouvrage. Mais nous étions déjà avancé dans l’été de 1903, et le professeur Langley, encouragé par le ministère de la Guerre à redoubler d'efforts, s'affairait à lancer d'une péniche sur le Potomac une grande copie de son planeur volant, une copie assez grande pour transporter un homme que Langley baptisa : l’Aérodrome. Le moyen de lancement était une catapulte. Malheureusement, la catapulte ne fonctionna pas de manière satisfaisante et l'avion tomba à l'eau à chacune des deux tentatives de lancement de Langley. Le public, toujours prêt à penser que Dieu ne voulait pas que l’homme vole, jeta l’opprobre sur Langley sans frein.
L’Aérodrome, l’aéroplane de Langley, sur sa péniche sur le Potomac en 1903.
Les frères Wright ont toujours eu beaucoup de choses en leur faveur. Ils disposaient de leurs propres moyens financiers, ils étaient encouragés par d'autres personnes travaillant dans le même domaine, ils appartenaient à des organisations où leur travail trouvait accueil et publicité, ils parlaient couramment l'anglais et leur formation était telle qu'ils savaient parler habilement à tout public et, ainsi, emporter l’adhésion de leurs auditeurs.
Ils déposèrent rapidement toute une série de brevets et eurent toutes les facilités pour prouver les revendications de ces brevets. Ainsi, après des années d'âpres controverses avec ceux qui croient encore en l'efficacité de l'aéroplane du professeur Langley, c’est aux frères Wright qu’a été concédé la palme d'avoir été les premiers à voler sur un plus-lourd-que-l’air motorisé.
Fortement découragé, Gustave Whitehead ne perdit jamais de vue que, selon lui, un avion ne serait jamais vraiment pratique tant qu'il ne pourrait pas s'élever à la verticale. Il avait toujours été à l'avant-garde de ceux qui pouvaient prévoir quels seraient les besoins de l'aviation pratique. Il avait été le premier à mettre des roues sous ses avions pour les lancer dans les airs, alors que les Wright utilisaient encore un derrick et un rail catapulteur plusieurs années après leur premier vol accrédité.
Le derrick et le rail catapulteur utilisé par les frères Wright lors des années 1903 à 1905.
Gustave Whitehead a été parmi les premiers à rechercher la légèreté et la solidité par l'utilisation de l'aluminium et de la soie (NdT – d’où sort cette information sur l’aluminium, je ne sais pas). Il fut l'un des rares à fabriquer à la fois le moteur et l'avion de ses aéroplanes. Mais, après 1903, il se tourna essentiellement vers son idéal, un aéroplane capable de décollage vertical, l’hélicoptère.
Un de ces modèles d’hélicoptère fut achevé par lui, mais, bien que son moteur le soulevât un peu, Whitehead décida d’en construire un autre doté d’un moteur plus puissant. Il commença alors la construction d'un hélicoptère plus grand et avec un moteur plus efficace. Mais une fois de plus, lui et ses financeurs se querellèrent. La loi fut avec ces dernier et tous ses ateliers et son équipement furent saisis. Ce fut le coup de grâce pour un génie qui souffrait depuis longtemps. Gustave Whitehead se retira mais garda toujours sa passion pour l'aviation. Il est mort sans avoir terminé son hélicoptère.
FIN
Quelques remarques de ma part sur cet article de 1935
Un texte intéressant quoiqu’un peu brouillon … mais qui regorge d’informations.
Gustave Whitehead était surtout très connu de son vivant comme motoriste. Il avait le génie pour construire des moteurs solides et de faible poids. On sait qu’il en a fabriqué beaucoup et vendu quelques-uns. Ce sont les seuls traces marchandes dont on dispose sur lui d’ailleurs. Il n’a jamais vendu un seul de ses aéroplanes.
Cet article nomme ensuite Louis Darvarich, comme étant le plus proche collaborateur et ami de Gustave Whitehead à cette époque. Tous les deux étaient inséparables depuis qu’ils s’étaient connus à Pittsburgh dans les années 1890. Rappelons-nous ce point.
Cet article présente comme un fait admis que Whitehead et Darvarich avaient tous les deux volés sur un aéroplane plus-lourd-que-l’air propulsé par un moteur à vapeur dès 1899 à Pittsburgh et donc quatre ans avant les frères Wright ! je reviendrai plus tard sur cette affirmation. Je n’ai trouvé strictement aucun document indépendant de l’époque qui en parle, pourtant, un tel vol, réalisé avec l’aide de pompiers, aurait dû recevoir beaucoup d’attention.
Enfin, cet article et les suivants montrent presque tous une photo ou un plan de l’aéroplane de Whitehead, on voit bien qu’il ne dispose d’aucun empennage vertical … et pourtant il aurait tourné sans problème en vol … Passons au deuxième texte de ce premier post sur Gustave Whitehead.
DEUXIEME TEXTE – 1901
The Brigeport Herald
Numéro du dimanche 18 août 1901
Introduction de ma part
Ensuite, à tout seigneur, tout honneur. Il s’agit de l’article initial, le premier qui décrit longuement le travail de Gustave Whitehead et son vol réussi près de Bridge port le 14 août 1901.
Cet article n’est publié que le 18, soit quatre jours après le vol. Pourquoi avoir attendu quatre jours ? Parce que le Brigeport Herald était, à l’époque, un hebdomadaire paraissant le dimanche. Voilà pourquoi ce délai.
On verra une curiosité historique. Ce premier vol d’un plus-lourd-que-l’air motorisé est crédité à deux hommes, pas à Gustave Whitehead seulement, mais aussi à un certain texan D.W. Custead. Je reviendrai plus tard sur ce personnage qui n’apparaît nulle part dans le texte de Stella Randolph.
Alors Whitehead s’est-il vraiment élancé dans les airs ce jour de 1901 près de Bridgeport ? Je vous laisse en juger ! Philippe.
Titre de l’article : Flying.
Je ne vous le traduis pas, il veut tout dire.
Article pas signé, mais l’auteur en est très probablement Richard Howell, le prolifique rédacteur en chef de cet hebdomadaire à l’époque.
Le surprenant en-tête de l’article.
Le succès retentissant qui a couronné les expériences aériennes du jeune brésilien, M. Santos Dumont, sur les dirigeables en France a atteint aussi notre pays. Il s’est depuis développé un goût de plus en plus marqué pour ce sport audacieux : voler.
Cependant, il semble bien que la solution qui permettra de naviguer dans les airs revienne à deux inventeurs américains qui ont combiné leurs rêves et leurs énergies pour mettre au point une machine volante qui fera ce que des dizaines d'hommes ont poursuivi depuis de nombreuses années.
Gustave Whitehead, de Bridgeport, et D.W. Custead de Waco, au Texas, ont coopéré et travaillent actuellement sur une machine volante qui devrait révolutionner le monde de l'aéronautique. Cet article est accompagné de photos des machines volantes de Custead et Whitehead. Cet article est accompagné de dessins des machines volantes de Custead et Whitehead.
L’aéroplane de Whitehead en vol avec M. Whitehead aux commandes. Lithographie originale parue dans l’article.
L’aéroplane envisagé par D.W. Custead. Dessin original paru dans l’article.
M. Whitehead est employé aux usines Wilmot & Hobbs comme gardien de nuit, et pendant environ la moitié du temps qui est alloué à la plupart des hommes pour dormir, il travaille sur sa machine volante. Il y a quelques semaines, M. Whitehead a emmené son engin au-delà de Fairfield dans un grand champ et l’y essaya. Il ne faisait aucun doute que cette machine pourrait voler, mais à cette époque, l'inventeur ne s’est pas risqué à bord pour tenter un vol.
En revanche, mardi soir de la semaine dernière, le 13 août, M. Whitehead, Andrew Cellie et James Dickie, ses deux partenaires dans la construction de la machine volante, et un représentant du Bridgeport Herald quittèrent nuitamment le petit hangar de Pine Street où la machine est entreposée et l'emmenèrent à un endroit approprié, au-delà de Fairfield, où son inventeur avait prévu de tenter son premier vol.
Le signal du départ fut donné peu après minuit afin de ne pas attirer l'attention. Les ailes et les hélices furent dépliées sur chaque côté de la coque de la machine. Les deux moteurs furent d’abord mis en route et soigneusement essayés à l’arrêt, de même pour le nouveau générateur d'acétylène fut même démonté puis remonté par M. Whitehead pour s'assurer qu'il était en parfait état. Il n'y avait de la place que pour deux dans l'appareil. Messieurs Whitehead et Cellie occupaient les sièges à bord de la machine, tandis que James Dickie et le journaliste du Herald les suivaient à vélo.
La machine de Whitehead roule sur le sol sur de petites roues en bois, d'un diamètre de seulement un pied (NdT – environ 30 cm !), et, en raison de cette petite taille, les obstacles de la route la font basculer d'un côté à l'autre de façon alarmante quand la vitesse augmente. Après avoir atteint l'asile d'orphelins protestants à l'angle de l'avenue Fairfield et de la rue Ellsworth, il y a un tronçon dégagé de bonne route en macadam. Une fois lancée et sortie du champs, l'automobile volante de Whitehead atteint cette route macadamisée, elle y entra à une vitesse estimée à environ vingt miles à l'heure (NdT – 32 km/h). Une fois lancée sur la portion de route bien nivelée, la machine atteignit rapidement une vitesse proche de trente miles (NdT – 48 km/h), mais comme la route n'était ni droite ni plane après la portion macadamisée, une telle vitesse ne put être maintenue. Il ne fait aucun doute que la machine, même avec ses roues de bois d'un diamètre de seulement 30 cm, pouvait atteindre assez facilement une vitesse de 40 miles à l'heure (NdT – 65 km/h), et, ce, sans que le moteur ne soit utilisé au maximum de ses capacités (NdT – Rappelons que le record de vitesse de la voiture Jamais-Contente datait de 1899 à plus de 100 km/h … mais sur des roues larges couvertes de caoutchouc et sur une route droite et parfaitement nivelée).
L'endroit choisi pour faire voler la machine était en bordure de Fairfield, à l’opposé de Bridgeport, le long de la grande route de New York, où il y a un grand champ et peu d'arbres, une nécessité en cas de vol du vaisseau aérien de Whitehead.
Il était environ 2 heures du matin, et on était donc mercredi, lorsque les grandes ailes blanches de l'avion furent déployées, prêtes à bondir dans les airs. M. Whitehead était excité et enthousiaste et ses deux partenaires l’étaient autant. La lumière n'était pas très forte à cette heure-là et tout avait un aspect un peu fantomatique. Whitehead parlait à voix basse, bien que la raison n'en soit pas évidente. Mais probablement l’heure choisie pour essayer la machine l’expliquait.
Le journaliste du Bridgeport Herald se proposa alors pour aider, mais quelqu’un qui ne connaît rien aux machines volantes n'était malheureusement d’aucune utilité et, même, plutôt gênant lorsque vint l'heure de faire voler le vaisseau aérien. On attacha de grosses cordes à l’avant du vaisseau pour qu'il ne s'éloigne pas de ses manipulateurs. Dans le corps de la machine se trouvaient deux sacs de sable, pesant chacun 110 livres, pour le ballast. M. Whitehead, qui se tenait debout le long de la coque à l’extérieur du vaisseau, démarra le moteur qui propulse la machine sur les quatre petites roues, tandis que ses deux assistants attrapèrent chacun l’une des deux cordes de sécurité. Le journaliste se tenait à l'écart de la machine, essentiellement pour mieux surveiller les opérations et en partie pour ne pas s'emmêler dans les cordes ou les ailes de la chauve-souris blanche géante. Lentement, la machine commença à rouler sur le sol du champ de plus en plus vite, mais en à peine cent mètres de course, les hommes qui tenaient les cordes et l'inventeur Whitehead couraient aussi déjà vite que leurs jambes le pouvaient. Puis M. Whitehead ouvrit la manette des gaz qui mettait en marche les hélices et les ailes et coupa le moteur de propulsion au sol. Presque instantanément, la proue de la machine se souleva et d’un coup elle s'éleva dans les airs à un angle d'environ six degrés. Les grandes ailes fonctionnaient à merveille. La machine volante survolait le monde entier telle une grande oie blanche qui s'élève à l'aube. Les deux hommes qui tenaient les cordes culbutaient régulièrement sur les buttes dans le champ, car il ne faisait pas encore assez clair pour éviter facilement de tels obstacles. Quant à lui, M. Whitehead agitait les mains avec enthousiasme et excitation en regardant son invention s'élever dans les airs. Il avait réglé le moteur de manière à ce qu’il s'arrête automatiquement après une révolution, afin que la machine ne continue pas à voler et aille s'écraser contre les arbres à l'autre bout du champ. Lorsque le moteur fut coupé, le vaisseau aérien commença à descendre et vint se poser sur le sol aussi légèrement qu'un oiseau, sans qu’une seule couture ne soit cassée ou qu'un montant des ailes ne soit plié.
Le vaisseau aérien est maintenant ramené au point de départ. Et maintenant, le vrai test va être tenté. Whitehead avait décidé de voler lui-même dans la machine. Elle s'était si bien comportée qu'il pensait qu'il n'y aurait plus de problème s’il prenait la place des 220 livres de sable qui avaient été utilisées pour le ballast lors du premier vol d'essai. Les moteurs furent à nouveau soigneusement testés et chaque joint et chaque fixation de la structure fut soigneusement inspecté. On retira les sacs de sable de la machine.
À ce moment-là , la lumière devenait meilleure. Une vague lueur à l’est annonçait le soleil levant. Un laitier très matinal s'était arrêté sur la route pour voir ce qui se passait. Son cheval faillit détaler quand, pour voir si elles se comportaient correctement, on fit battre les grandes ailes blanches de la machine.
La tension nerveuse augmentait à chaque tic-tac de l'horloge et personne ne le montrait plus que Whitehead qui chuchotait encore par moments mais qui, à mesure que la lumière se faisait plus forte, commençait à parler sur le ton normal de sa voix. Il plaça ses deux assistants derrière la machine avec pour instructions de s'accrocher fermement aux cordes et de ne pas laisser la machine décoller. Puis il prit place dans le grand oiseau. Il ouvrit les gaz du moteur de roulage et la machine commença à rouler sur le gazon vert à un rythme rapide.
« C'est moi qui vais démarrer les ailes ! "cria-t-il. " Tenez-la bien maintenant ". Les deux assistants ont tenu du mieux qu'ils ont pu mais le vaisseau aérien s’envola d’un coup sur place comme le font les cerfs-volants par grand vent. C'était un moment de grande excitation. " On ne peut plus la retenir ! "cria l'un des cordistes. "Lâchez-moi alors ! " cria Whitehead en retour. Ils lâchèrent prise, et alors qu'ils le faisaient, la machine bondit dans les airs comme un oiseau libéré d'une cage. Whitehead était très excité et ses mains étaient vues un coup à gauche, et un coup à droite de la coque de sa machine. Il battait des mains comme une enfant. Le journaliste et les deux assistants restèrent, eux, immobiles un moment à regarder le vaisseau aérien avec une profonde stupéfaction. Puis ils se précipitèrent dans la pente légèrement inclinée en suivant le vaisseau aérien. Il volait maintenant à une cinquantaine de pieds au-dessus du sol et faisait un bruit très semblable à celui d'un ascenseur qui descendrait dans sa cage, un chuck-chuck-chuck très régulier.
Whitehead était devenu plus calme et semblait profiter de l'euphorie de la nouveauté. Cependant, il se dirigeait tout droit vers un bosquet de jeunes châtaigniers qui poussaient sur un monticule un peu haut. Il se trouvait maintenant à une trentaine de mètres dans les airs et aurait été assez haut pour échapper au bosquet si celui-ci n'avait pas été sur une hauteur du champ. Whitehead vit le danger qui l'attendait et, à moins de deux cents mètres du bosquet, il tenta à plusieurs reprises de manipuler sa machine pour pouvoir le contourner, mais le bateau gardait le cap et se dirigeait droit sur les arbres. Les frapper signifiait l’accident, le vaisseau aérien aurait été perdu et, très probablement la mort ou des os rompus pour l'audacieux aéronaute.
C'est là que Whitehead a appliqué intelligemment un principe de bon sens qu’il avait remarqué chez les oiseaux lorsqu'il les étudiait en vol pour trouver des idées pour faire de son avion un succès. Il déplaça tout simplement son poids plus d'un côté de la coque. Cela fit que le vaisseau aérien s’inclina du côté où Whitehead se penchait. Le vaisseau vira et détourna sa course aérienne du bosquet de châtaigniers alors qu'il ne se trouvait plus qu’à moins de cinquante mètres. La machine volante contourna l’obstacle aussi joliment qu'un yacht en mer évite une roche. La possibilité nouvelle de contrôler son navire aérien de cette manière facile donna confiance à Whitehead, car on le voyait maintenant prendre le temps de regarder le paysage autour de lui. Il se retourna même et agita vers nous la main en s'exclamant : "J’y suis enfin arrivé ! ».
Il avait parcouru dans les airs sur une distance d'un demi-mile et, alors que la limite du champ s’approchait, l'aéronaute coupa le moteur et se prépara à revenir au sol. À ce moment-là , il sembla tout à coup avoir un peu peur que l'appareil ne bascule en avant ou en arrière lorsque le moteur serait coupé, mais il n’y eut aucun signe d'un tel mouvement de la part du gros oiseau. À l’arrêt des hélices, le vaisseau aérien était alors à environ quinze mètres. Et deux minutes après l'arrêt des hélices, le vaisseau reprenait contact avec le sol sur ses quatre petites roues en bois et, ce, si légèrement que Whitehead ne fut même pas secoué.
Le visage de l'inventeur rayonnait de joie ! Ses partenaires lui mirent les bras autour du cou tout en le bourrant de tapes dans le dos. Ils lui demandaient de décrire ce qu’il avait ressenti pendant qu'il volait.
« Je vous avais dit que ce serait un succès ", c'est tout ce qu'il pouvait leur dire. Il était comme un homme qui est épuisé après avoir traversé une dure épreuve. Et cela avait été vraiment une dure épreuve pour lui. Depuis des mois, des années même, il attendait ce moment avec impatience, ce moment où il volerait comme un oiseau dans les airs grâce aux moyens qu'il avait étudiés avec son propre cerveau. Épuisé, il s'assit sur l'herbe verte à côté de la clôture qui marquait la fin du champ, et porta alors son regard, un peu rêveur, là où les premiers rayons du soleil levant embrasaient au-dessus du brouillard gris rampant les eaux du détroit de Long Island.
Bon sang, quel tableau pour un peintre : "espoir réalisé à l'aube". Whitehead assis en silence étaient très pensif. Ses deux fidèles partenaires et le journaliste de Herald attendirent que Whitehead prenne la parole en premier : « C'est une drôle de sensation de voler ». Puis, pendant une demi-heure, l'homme qui venait de prouver qu'il avait une machine capable de naviguer dans les airs parla de ses dix minutes de vol dans le vaisseau aérien. Il était enthousiaste, parlait presque comme un enfant qui a vu pour la première fois quelque chose de nouveau et qui, le souffle coupé, essaye de le raconter à sa mère.
Mais si M. Whitehead a démontré que sa machine peut voler, il ne prétend pas qu'elle est destinée à être un succès commercial. En revanche, l’autre inventeur, le texan Custead, affirme que son vaisseau aérien pourrait être un vrai succès commercial car il diffère de celui de Whitehead en ce qu'il s'élève verticalement du sol, tandis que la machine de Whitehead doit rouler au sol sur une certaine distance pour prendre de la vitesse, un peu comme les oies le font. M. Custead pense que sa machine est la plus élaborée des deux mais il lui manque un générateur d’acétylène suffisamment puissant et léger pour effectuer le travail nécessaire à la propulsion de son grand vaisseau aérien. M. Whitehead, par contre, possède un tel générateur et, en combinant le vaisseau aérien de Custead et le générateur de Whitehead, les inventeurs pensent qu'ils vont pouvoir mettre au point une machine qui sera plus proche du succès que toute autre machine fabriquée jusqu'à présent.
NdT – Ici vient une longue présentation du nouveau générateur d’acétylène inventé par Whitehead pour propulser son aéroplane. Mais le texte du document scanné est ne très grande partie illisible. Je n’ai donc pas pu vous le traduire. J’en suis désolé.
FIN
Encadré de l’article du Herald (publié à la suite de l’article précédent sur la même page)
L’histoire de Gustave Whitehead
C'est ainsi que Whitehead nous a décrit lui-même ses sensations depuis le moment où son vaisseau aérien a quitté le sol jusqu'à ce qu'il atterrisse.
" Je n’ai jamais éprouvé une sensation aussi étrange que lorsque ma machine a quitté le sol et a commencé à s’envoler. Il n’y avait aucun bruit, si ce n’est celui du moteur, celui des hélices et le flap-flap monotone et régulier des ailes qui battaient. Pendant la première minute du vol rien de ce qui se passait dehors ne m’atteignait tellement ce que j’éprouvais alors était fort et nouveau pour moi. Quand ma machine atteignit une hauteur d’une quinzaine de mètres tout à coup je me suis demandé jusqu’où elle pourrait bien monter. Au moment même où je me posais la question, je me suis rendu compte qu’elle ne montait plus et qu’elle s’était stabilisée d’elle-même à cette hauteur. Je me demandais ce qui m’attendait … partie illisible … Mais je commençais à me sentir en relative sécurité. Tout ce que j’avais à faire pour ne pas finir dans un accident, c’était de garder la tête froide et de bien m’occuper de la machinerie. De toute ma vie, je n’avais jamais ressenti un tel sentiment de totale liberté que lorsque je volais au-dessus du paysage et des autres hommes. C’était un sentiment très doux. J’étais loin devant tous les autres, je volais tel un oiseau alors que tous les autres hommes étaient cloués au sol.
Et alors que mon esprit tournoyait ainsi de pensée en pensée, je vis tout à coup face à moi un bosquet d’arbres, ma machine allait droit dessus. Soit je passais à côté, soit je passais au-dessus. Mais comme je me trouvais à une centaine de mètres quand je m’en aperçus, je n’avais pas de moyen de monter. Et la machinerie ne me permettait pas de virer … illisible … J’avais souvent vu comment les oiseaux font lorsque lors d’un vol en ligne droite, ils doivent subitement tourner pour éviter un obstacle soudain. Ils changent la position de leur corps en le penchant légèrement du côté où ils veulent tourner. Pour … illisible … l’oiseau penchera son corps vers la gauche, ce qui abaissera son aile gauche …. Illisible … Ma machine volante devait obéir au même principe. À une cinquantaine de mètres des arbres, je penchais fortement mon corps vers la gauche … illisible … et la machine vira aussi aisément que si elle volait en ligne droite.
J’avais pris suffisamment confiance en moi pour, une fois les arbres évités, que j’essaie de tourner à droite. Je penchais mon corps à droite mais légèrement cette fois, la machine vira légèrement à droite. Cela marchait, mais la réponse ma machine aux mouvements de mon corps était vraiment très sensible.
J’avais déjà parcouru dans les airs près d’un demi-mile et je m’approchais de la fin du champ. Au-delà , ce n’était pas un petit bosquet mais tout un bois. À une centaine de mètres, je coupais le moteur … illisible … J’étais un peu anxieux de voir ce qui allait se passer une fois le moteur coupé. Mais la machine se mit à descendre régulièrement … illisible … elle se posa sur le sol sans aucun à -coup … illisible … Je n’avais rien, la machine était intacte sans rien de cassé. Ce fut alors le moment le plus heureux de ma vie parce que je venais de démontrer que la machine sur laquelle je travaillais depuis tant d’années pouvait faire ce que prétendais depuis si longtemps … illisible … Voler est une expérience unique, rien n’y ressemble !"
FIN
Quelques remarques de ma part sur cet article de 1901
Cet article est très intéressant à plus d’un titre.
D’abord, le fameux Louis Darvarich en est totalement absent, ce qui est bien curieux ! Stella Randolph, en 1935, écrit de lui qu’il était le plus proche collaborateur de Gustave Whitehead et qu’il l’avait suivi de Pittsburgh à Bridgeport … Or, il n’apparaît cependant pas du tout dans cet article de 1901. Alors, ce Darvarich, plus proche collaborateur ou total inconnu ?
Ensuite, on devine à demi-mot sous la plume du journaliste du Herald, et on le lit très nettement dans les paroles mêmes de Whitehead dans l’encadré que sa machine pour voler … battait des ailes ! Rien de tel n’en est dit par Stella Randolph en 1935. On sait qu’une machine volante conçue pour voler en battant des ailes … ne pouvait pas voler à cette époque. Alors, ce vol de 1901, mythe ou réalité ?
Enfin, cet article de 1901 nomme les deux assistants de Gustave Whitehead qui participèrent à ce premier vol : Andrew Cellie et James Dickie. Dans son article de 1935, Stella Randolph n’en parle pas une seule fois, mais elle nomme Anton Pruckner et Junius Harworth, et peut-être aussi, en sous-entendu, Louis Darvarich comme témoins de ce vol du 14 août 1901. Alors, qui était présent aux côtés de Gustave Whitehead pour ce soi-disant vol du 14 août 1901 ?
Dernière ambiguïté et pas des moindres. Cet article de 1901 place le cadre de ce vol aux environs de Fairfield, une localité à environ 7 km à l’ouest de Bridgeport. Stella Randolph, elle, cite un champ près de ce qui était, en 1935, les usines Sikorsky qui ont été depuis remplacées par l’aéroport municipal de Bridgeport : le Memorial Sikorksy Airport. Cet aéroport est bien à environ 7 km de Bridgeport, oui, mais à l’est de Bridgeport ! Alors, ce soi-disant vol de 1901 a-t-il eu lieu à l’ouest ou à l’est de Bridgeport ?
Passons maintenant au troisième et quatrième articles qui seront postés dans un second post.
ouaf ouaf ! bon toutou !!
Hors ligne
Suite du post précédent!
TROISIEME TEXTE – 1902
The American Inventor
Numéro du 1er avril 1902 – volume 9 n°1
Couverture de The American Inventor.
Introduction de ma part
Voici la description de l’aéroplane et de ses vols par Whitehead lui-même. Il s’agit, cette fois, de vols qu’il aurait effectués au-dessus du détroit de Long Island en janvier 1902. Le plus long de ces vols atteint tout de même pas loin de 11 km (sept miles exactement) … 11 km en 1902 … alors qu’il faudra attendre 1905 pour que le Flyer III parcoure 38 km ou même 1908 pour que Henry Farman rejoigne Reims après un vol de 25 km !
Alors Whitehead s’est-il vraiment élancé dans les airs ce jour de 1902 au-dessus des eaux du Long Island Sound ? Je vous laisse en juger ! Philippe.
Letters to the editor – The Whitehead flying machine : has the end been finally attained, and is the dirigible balloon to go ?
Lettres à l’éditeur : la machine volante de Whitehead : le but ultime a-t-il été atteint, et le ballon dirigeable est-il condamné ?
Lettre de Gustave Whitehead.
Au rédacteur en chef, American Inventor
Cher Monsieur : En réponse à votre récente lettre, j'ai le plaisir de vous envoyer la description suivante de ma machine volante n° 22, la dernière que j'ai construite.
Cette machine a été construite en quatre mois avec l'aide de 14 mécaniciens qualifiés et a coûté environ 1 700 dollars. Elle est actionnée par un moteur à kérosène de 40 chevaux de ma propre conception, spécialement construit pour la force, la puissance et la légèreté, d’un poids de 120 livres (NdT – Soit 54kg). Il peut fonctionner pendant toute une semaine si nécessaire, sans chauffer, sans s'arrêter, ni déranger l'opérateur de quelque manière que ce soit. Aucun appareil électrique n'est nécessaire pour l'allumage. L'allumage est réalisé par sa propre chaleur et compression ; il tourne à environ 800 tours par minute, possède cinq cylindres et aucun volant d'inertie n'est utilisé. Il nécessite un espace de 10 pouces de large, 4 pieds de long et 10 pouces de haut.
La machine volante proprement dite est construite comme ma machine n° 21 dont je vous envoie la photo, mais au lieu d'utiliser du gaz acétylène pour la propulsion, j'utilise le moteur à kérosène décrit ci-dessus. La machine n° 22 est principalement faite d'acier et d'aluminium.
Photo de l'inventeur Gustave Whitehead publié dans ce numéro d’American Inventor.
La coque centrale mesure 3 mètres de long, 1 mètre de large et 1 mètre de profondeur, elle est en forme de poisson, et repose sur quatre roues d'automobile, de 33 cm de diamètre. Quand la machine n°22 est au sol, les deux roues avant sont motrices et reliées au moteur à kérosène et les deux roues arrière servent à la direction. Elles peuvent être facilement manipulées par l'aéronaute. La coque, dans laquelle prend place l’aéronaute, est maintenu par des tubes d'acier et consolidé par des cordes à piano en acier. Il est recouvert de tôle d'aluminium et sa forme lui permet de flotter sur l’eau comme un bateau. De chaque côté de la coque, il y a de grandes ailes en forme d'ailes de poisson ou de chauve-souris. Les nervures sont en tube d'acier dans la machine n° 22 au lieu du bambou comme c’était le cas dans la machine n° 21. Les ailes sont entoilées de près de 42 m2 de la meilleure soie que l'on puisse obtenir (de la soie japonaise). Devant les ailes et en travers de la coque se trouve une armature en acier à laquelle sont reliées les deux hélices qui servent au déplacement motorisé de la machine dans l'air. Les hélices ont un diamètre de 1 m 80 et la surface des pales de chaque hélice est de 6 pieds et ont une surface de pale de 0,4 m2 chacune. Elles sont faites de bois et sont recouvertes d'une très fine feuille d'aluminium. Les hélices tournent à environ 600 tours par minute à pleine puissance et les deux hélices tournent dans des directions opposées. Lorsqu'elles tournent à pleine vitesse, elles exercent une poussée mesurée à 231 kg. J'ai mesuré cette poussée en fixant la machine à un poteau au moyen d'un dynamomètre et en faisant tourner les moteurs à pleine vitesse. Au centre de la coque de la machine, il y a un mât métallique auquel sont rattachés des haubans en cordes à piano qui maintiennent toutes les pièces ensemble à la manière d’un gréement de bateau. À l'arrière de la machine, il y a une queue entoilée de 3 m 60 de long. C’est quelque chose qui ressemble à la queue d'un oiseau. Cette queue et les deux ailes peuvent être repliées en une demi-minute et posées, repliées, contre les côtés de la coque, à la manière d’un oiseau au sol qui replie ses ailes contre son corps. Un appareil automatique sert à maintenir l'équilibre de la machine dans l'air.
Cela est illustré dans la figure suivante qui montre le plan 2-vues de la coque de la machine n°22.Le corps de la coque est indiqué par la lettre H, il contient le moteur (qui n’est pas montré), l’aéronaute prend place dans cette coque. Sous la coque, se trouvent les quatre roues par lesquelles elle repose sur le sol. À l’arrière de la coque, on trouve la queue (K). A l’avant de la coque, se trouve un beaupré (F) sur lequel a été placé un levier (C) qui supporte un petit plan entoilé (E). Le levier C est relié par une tige G au balancier B qui est relié par son extrémité inférieure à un contrepoids A. On comprend que ce contrepoids agira sur le plan E pour contrecarrer en vol un mouvement inattendu de la proue de la coque vers le bas, ce qui ferait piquer l’avion (NdT – Boeing aurait dû s’inspirer de ce montage pour contrecarrer les actions inattendues du MCAS). Le bras de levier entre le plan entoilé E et le poids A est si important que moindre changement de position exercé sur le plan E est instantanément efficace. L’aéronaute contrôle les mouvements du plan E au moyen du manche-poignée (D). Je n'ai pas montré les ailes dans ces diagrammes.
Plans de la coque de la machine n°22.
Pour voler, le moteur est mis en route puis relié aux roues avant ce qui fait avancer la machine au sol à une vitesse terrible (NdT – Whitehead utilise ici l’adjectif : fearful). Lorsque l'appareil est prêt à s’envoler, un ressort est libéré par l’aéronaute qui déplie automatiquement les ailes. L’aéronaute bascule un autre levier et le mouvement propulsif du moteur passe des roues motrices (qui s’arrêtent) aux hélices qui se mettent à tourner. Avec la machine n°22 et son moteur à essence, il faut parcourir environ 20 mètres avec un homme à bord (environ 80 kg) avant que la machine ne quitte le sol et s’envole.
Cette nouvelle machine a été testée à deux reprises, le 17 janvier 1902. Elle était destinée à ne voler que sur de courtes distances, mais la machine s'est bien comportée lors du premier essai, elle a alors parcouru un peu plus de 3 km au-dessus des eaux de Long Island Sound. Elle s’est ensuite posée dans l'eau sans incident, ni pour la machine ni pour son opérateur. Elle a ensuite été remorquée jusqu'au point de départ sur la plage. Lors du deuxième essai, la machine est repartie du même endroit, sur le rivage, et a traversé Long Island Sound avec moi à bord. La machine a ainsi avancée droit devant à une hauteur d'environ 60 mètres, quand il m'est venu à l'esprit d'essayer de tourner en rond. Dès que j'ai tourné le gouvernail et fait tourner une hélice plus vite que l'autre, la machine a commencé son virage en se dirigeant vers le nord à une vitesse effroyable (NdT – Whitehead utilise ici l’adjectif frightful). Elle a tourné régulièrement jusqu'à ce que j’aperçoive au loin mon point de départ. J'ai continué à tourner régulièrement jusqu’à remettre le cap vers mon point de départ. Quand je me suis approché de la terre ferme, j'ai ralenti les hélices et je me suis venu doucement me reposer sur l'eau. Sur sa coque en forme de quille, la machine flottait facilement comme un bateau. Mes assistants vinrent pour la sortir de l'eau et la hisser sur la terre ferme. Comme la journée touchait à sa fin et que le temps changeait pour le pire. J'ai décidé de revenir à la maison et de reporter d’autres essais au printemps suivant.
La longueur du vol pour le premier essai était d'environ 3 km, et pour le second d'environ 12 km. Le dernier essai était un vol circulaire, et comme j'ai réussi à revenir à mon point de départ avec une machine jusqu'alors inexpérimentée et plus lourde que l'air, je considère le voyage comme une réussite. À ma connaissance, c'est le premier du genre. Cette affaire n'a jamais été publiée jusqu'à présent.
Je n'ai pas encore pris de photos de la machine n° 22, mais je vous en envoie quelques-unes du n° 21, car ces machines sont exactement identiques, à l'exception des détails mentionnés. Le numéro 21 a fait quatre voyages, le plus long d'un kilomètre et demi, le 14 août 1901. Les ailes des deux machines mesurent 9 mètres de bout en bout, et la longueur totale de la machine est de 10 mètres. Elle roule au sol jusqu’à atteindre 80 km/h et en vol elle peut se déplacer à environ 110 km/h. Je crois que si on le voulait, cette machine pourrait voler à 160 km à l'heure. La puissance transportée par le moteur à essence est considérablement plus que ce qui est nécessaire.
Croyant avec Maxim que l'avenir de la machine à air réside dans une machine sans ballon, j'ai choisi de construire un aéroplane et je m'y tiendrai jusqu'à ce que j'y parvienne complètement ou jusqu'à ce que j'expire en essayant de le faire (NdT – Il s’agit ici d’une citation du pionnier anglais de l’aviation Sir Hiram Maxim 1840-1916, qui est censé avoir effectué le premier vol d’un appareil plus-lourd-que-l’air en 1894).
Dès que j'aurai sorti mon appareil au printemps prochain, je vous le ferai savoir. Décrire la sensation de voler est presque impossible car, en fait, un homme est alors plus effrayé qu'autre chose.
En espérant que cela intéressera vos lecteurs, je reste, très sincèrement, vôtre.
Signé : GUSTAVE WHITEHEAD
Bridgeport, Conn.
Parcours de l’aéroplane n°22 de Whitehead le 17 janvier 1902, d’après Whitehead.
Le rédacteur en chef, ayant de la peine à croire le compte-rendu précédent, à savoir qu’un homme avait effectivement réussi à voler dans une machine plus lourde que l'air autopropulsée, écrivit à nouveau à M. Whitehead pour confirmation. La réponse de M. Whitehead est la suivante :
RĂ©dacteur en chef, American Inventor
Monsieur le Président, en réponse à votre lettre du 20.
Oui, c'était une machine volante grandeur nature, et j'ai moi-même parcouru 11 kilomètres et suis revenu à mon point de départ.
Lors des deux vols décrits dans ma lettre précédente, j'ai moi-même piloté la machine. Bien sûr, c'est nouveau pour le monde entier, mais je ne tiens pas à trop de publicité, sauf par un bon journal comme le vôtre.
De tels récits peuvent aider d'autres personnes qui travaillent dans le même domaine. Dès que je le pourrai, je réessaierai.
Au printemps prochain, je ferai faire des photos de la machine n° 22 en vol et je vous laisserai prendre des photos pendant son vol. Si vous pouvez venir les chercher vous-même, tant mieux. J'ai déjà essayé, mais lors du premier essai, le temps était mauvais, il y avait un peu de pluie et un ciel très nuageux, et les photos prises n'étaient pas correctes.
Je ne peux pas prendre de photos de la machine en vol à cause de sa vitesse élevée. Je joins un petit croquis montrant le parcours que la machine a effectué lors de son plus long vol, le 17 janvier 1902.
En espérant que cela vous satisfera, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.
Signé : GUSTAVE WHITEHEAD
Bridgeport, Conn.
FIN
QUATRIEME TEXTE – 1945
The US Air Services
Numéro d’août 1945 – volume 9 n°1
Introduction de ma part
Enfin, l’avis d’Orville Wright sur cette histoire … il faudra attendre 1945 pour la lire.
Dans cet article, Orville Wright se mélange un peu les pinceaux avec la date de parution du Bridgeport Herald, ce journal n’était pas un quotidien mais un hebdomadaire qui paraissait le dimanche, ce qui explique la parution de l’article le dimanche 18 aout 1901 pour un événement ayant eu lieu le mercredi précédent.
Dans cet article, on lit avec un très grand intérêt ce que déclare sous serment M. James Dickie … c’est proprement édifiant.
Apparaissent ensuite ces deux proches témoins de ce qu’avait fait réellement Whitehead parce qu’ils avaient été ses financeurs : M. Stanley Beach du Scientific American (je reviendrai sur cette personne dans un second post à venir) et M. John Dvorak, alors un universitaire. Ce qu’ils disent est tout aussi édifiant. Dans ce texte aussi, personne ne parle d’un Louis Darvarich, ni d’un Anton Pruckner ou d’un Junius Harworth, comme l’écrit Stella Randolph en 1935 !
Alors Whitehead s’est-il vraiment élancé un jour dans les airs avec l’une de ses inventions ? Je vous laisse en juger ! Philippe.
The mythical Whitehead flight
Le vol mythique de Whitehead
Lettres à l’éditeur : la machine volante de Whitehead : le but ultime a-t-il été atteint, et le ballon dirigeable est-il condamné ?
Orville Wright
Note de l’Editeur
Dans le Reader’s Digest de juillet dernier, on peut lire en page 25 un court article de M. Mort Weisinger, le fameux éditeur des bandes dessinées de Superman et auteur de Captain Marvel, intitulé : "L’homme qui sait tout". C’est un résumé de lecture (un reader’s digest) du livre "Liberty". Dans cet article, on lit une phrase qui, à la rédaction de US Air Services, nous a stupéfié : "C’est durant l’un de ces programmes radio que Kane a présenté aux auditeurs M. Charles Whitehead de Bridgeport dans le Connecticut. Il est le fils de M. Gustave Whitehead, le premier homme à avoir volé dans un aéroplane plus-lourd-que-l’air, deux ans et quatre mois et trois jours avant le prétendu premier vol des frères Wright à Kitty Hawk."
C’est la seconde fois que le Reader’s Digest, pour je ne sais quelle raison, se place dans la position de vouloir prouver que les frères Wright n’ont pas été les premiers à voler. Il n’y a pas si longtemps, à vol d’oiseau en quelque sorte (NdT – Il y a ici un jeu de mots en anglais. On lit dans le texte anglais : "as the crow flies", ce qui se traduit habituellement par : à vol d’oiseau, mais en américain, le mot crow ne désigne pas que le corbeau mais aussi, au sens figuré, quelqu’un qui aime fanfaronner), le Reader’s Digest avait déjà publié l’article intitulé "Santos Dumont, le père du premier vol".
La rédaction d’US Air Services a contacté M. Orville Wright, qui fut le premier homme à voler avec son frère Wilbur, le coinventeur de l’avion, pour qu’il nous donne sa version des faits
Article d’Orville Wright
Le mythe selon lequel Gustave Whitehead a fait un vol en aéroplane autopropulsé en 1901 se fonde sur une histoire décrite dans le numéro du 18 août 1901 du journal Herald, de Bridgeport dans le Connecticut. Bien que ce mythique premier vol ait prétendument eu lieu le 14 août 1901 avec un journaliste du Herald comme témoin, il fallut attendre quatre jours pour qu’un article soit enfin publié dans le journal de Bridgeport, dans son édition du dimanche. Le vol de Whitehead aurait eu lieu le mercredi 14 août 1901. Pourquoi le rédacteur en chef aura-t-il attendu quatre longs jours avant de publier l’article relatant un événement si extraordinaire et historique : le premier vol d’un homme dans une machine volante autopropulsée ? Se pourrait-il qu’il ne l’ait pas cru ? Le plus étonnant dans tout cela, c’est que toute personne censée pensera tout de suite que l’auteur de cet article, probablement Howell, présente la chose comme un fait auquel il a assisté lui-même en personne. Eh bien, si l’article du Herald a pour titre un sobre : Flying, que penser de l’illustration choisie pour accompagner ce titre : quatre sorcières chevauchant leur balai devant un croissant de lune ?
L’article du Herald nous apprend que seulement quatre personnes ont été témoin du vol de Whitehead : Gustav Whitehead l’inventeur, bien sûr, Andrew Cellie et James Dickie, les deux partenaires et amis de Whitehead dans cette affaire d’aéroplanes, et le journaliste du Herald.
Dans une déclaration faite sous serment (NdT – En anglais, un affidavit) le 2 avril 1937, M. James Dickie déclare qu’à cette époque, il travaillait à temps plein avec M. Whitehead sur l’aéroplane en question. Un peu plus loin, il dit ceci dans sa déclaration sous serment : "Je ne connais personne du nom d’Andrew Cellie, cette autre personne qui est dite avoir assisté au soi-disant vol du 14 août 1901, comme le dit l’article du Bridgeport Herald. Pour moi, toute l’histoire racontée dans cet article est une pure invention de journaliste. Je pense que ce journaliste s’est librement inspiré de discussions qu’il a eues avec Whitehead où celui-ci se laissait facilement aller à dire ce qu’il aimerait faire. Ce 14 août 1901, je n’ai assisté à aucun vol, je n’y étais pas. Je ne me souviens pas qu’une seule fois, en ma présence, quelqu’un ait dit que Whitehead avait réussi à voler sur l’une des machines qu’il avait construites."
M. John J. Dvorak est un homme d’affaire de Chicago qui, à l’époque, faisait partie du personnel enseignant de l’université Washington à Saint-Louis dans le Missouri. En 1904, il a passé plusieurs mois à Bridgeport chez Whitehead quand ce dernier essayait de construire un moteur que John Dvorak finançait. Les jours passaient, les semaines, et le moteur ne fonctionnait toujours pas. M. Dvorak en arriva à la conclusion que Whitehead était incapable de fabriquer un quelconque moteur et, dépité et sans moteur, il le quitta.
Dans une déclaration sous serment faite le 18 juillet 1936, M. Dvorak a déclaré : "Personnellement, je ne crois pas que Whitehead ait jamais réussi à voler avec sa machine. Voilà pourquoi : 1) Whitehead ne possédait pas les compétences techniques nécessaires à fabriquer un moteur fonctionnel ; 2) Whitehead tombait très facilement dans les exagérations verbales. Il était excentrique, visionnaire et rêveur certes, mais dans des proportions telles qu’il finissait par réellement croire ce qu’il n’avait fait que rêver. Jusqu’à avoir même des hallucinations."
En mai 1901, M. Stanley Y. Beach, de la revue Scientific American, vint à Bridgeport pour visiter et interviewer Whitehead sur sa machine volante. Après cette visite, il publia un article dans le numéro du 8 juin 1901 de Scientific American. Peu après, il réussit à convaincre son propre père de financer els travaux de Whitehead. Stanley Beach vint par la suite voir Whitehead très régulièrement de 1901 à 1910. M. Beach a constamment affirmé qu’à aucun moment, pendant toutes ces années, Whitehead lui avait dit avoir réussi à voler. Bien au contraire, M. Beach a toujours affirmé qu’il ne croyait pas qu’une seule des machines motorisées inventées par Whitehead ait pu s’envoler, contrairement à ce que certaines personnes, trente-cinq ans après, prétendent avoir vu.
La proximité de Beach avec Whitehead pendant neuf ans de partenariat le place évidemment dans une position bien meilleure pour savoir ce que Whitehead avait réellement fait que n’importe quelles autres personnes qui avaient été associées à Whitehead sur un temps bref ou qui avaient si peu d’intérêt dans l’aviation qu’ils avaient, curieusement, attendus tranquillement trente-cinq ans avant de livrer leur témoignage.
FIN
ouaf ouaf ! bon toutou !!
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Fantastique travail ! Je pensais lire tranquille quelques dizaines de lignes ... Il n'en est rien c'est une vrai enquête historique . (Et ce n'est que la 1ere partie !.. ) Merci Philou je vais m'envoler tout à coeur dans ce reportage fouillé dès cet aprés midi.
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