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Bonjour,
Voici un article tiré d’une revue de 1933 où l’auteur, un pilote de chasse de la Grande Guerre, qui a tenu à rester anonyme, évoque le souvenir de ce qu’il considère comme son plus « dur combat » aérien. La revue hebdomadaire : L’Aéro, qui paraissait tous les vendredis, a publié cette année-là une série de ces articles mettant à l’honneur des pilotes de chasse français, certains bien connus, d’autres moins. J’ai pensé que vous seriez peut-être intéressé par la lecture de cet ancien morceau d’histoire de l’aviation !?
Philippe
Leurs plus durs combats : Atterrissage chez l’ennemi et retour à l’escadrille !
L’Aéro du 28 juillet 1933
Par X, pilote de chasse
Texte de l’Editeur :
La guerre aérienne a procuré aux pilotes des émotions profondes qui n’ont pas toujours été provoquées par les combats aériens. Un pilote de chasse, qui compte à son actif de nombreux combats souvent très durs et pas moins d’une quinzaine de victoires aériennes, nous raconte aujourd’hui le récit d’une aventure qui lui est arrivée en 1918 et qui est certainement intéressante pas son aspect inattendu. Ce pilote a tenu à rester anonyme.
Texte de l’auteur :
Mon plus dur combat ? Non, certes pas, mais la plus grande Ă©motion sans aucun doute.
Lors de l’avance allemande dans la poche de Château-Thierry, au mois de mai 1918, le groupe de chasse auquel appartenait mon escadrille fut chargée à plusieurs reprises d’effectuer des missions de reconnaissance de troupes et de mitraillage des convois. Ce travail, effectué avec nos petits Spad 7, particulièrement rapides et maniables était passionnant et, à vrai dire, sportif.
Il consistait à voler très bas au-dessus des colonnes ennemies, soit isolement, soit par patrouille de deux ou trois, et tout en sautant les maisons et les ruisseaux afin de se dérober aussi rapidement que possible au tir des fantassins, à repérer les mouvements de troupe et à jeter la confusion dans les convois en les mitraillant à bout portant.
Mission passionnante, car le pilote se rendait compte de l’effet produit par son action et voyait les convois s’enfuir en débandade sous les rafales de ses mitrailleuses, les charrois verser dans les fossés, les cavaliers se faire désarçonner, et il avait généralement disparu derrière une aspérité du terrain avant que l’ennemi ait pu agir contre lui.
Le 21 mai 1918, j’étais donc parti ainsi tout seul et, depuis près d’une demi-heure, je survolais la région comprise entre Neuilly-Saint-Front et le Bois Belleau où des mouvements de troupe importants étaient signalés.
Une attaque se dessinait sur la lisière du Bois Belleau, dans le sens est-ouest et je survolais alternativement les colonnes de section, d’escouade et les lignes déployées en tirailleurs qui avançaient par bonds vers la lisière du bois Belleau, occupé par les troupes américaines.
En survolant une ferme isolée, à 2 ou 3 kilomètres du front dans le secteur tenu par l’ennemi, je vis un beau rassemblement de troupes, insolite si près du front et abrité derrière une large ferme. Abandonnant la méthode habituelle, je pris immédiatement de l’altitude en passant rapidement la plus mauvaise altitude, celle comprise entre 100 et 150 mètres, à laquelle je me trouvais directement sous le feu conjugué des mitrailleuses et fusils de toutes les troupes à terre.
Je vis alors que ce rassemblement de près de 3 ou 400 hommes, fantassins et caissons, semblait affairé à décharger des munitions ou un ravitaillement quelconque.
Pour expliquer ce qui suit, je dois cependant rappeler que sur nos Spad7 l’alimentation d’essence se désamorçait quand on piquait. Avant d’entamer un piqué brutal, il était indispensable d’assurer l’alimentation du moteur pour la ressource en embranchant sur la nourrice qui se trouvait sur le plan supérieur. J’avais déjà fait cette manœuvre de robinet deux ou trois fois déjà .
J’étais alors à 300 mètres environ. Je repérais le sens le plus favorable pour que le pinceau de mes mitrailleuses balaie le plus largement la zone du rassemblement. je fis un virage brutal et, en piqué à 45°, j’arrivais aussi rapidement que possible sur le groupe. Les troupes qui m’observaient se mirent aussitôt à tirer sur moi. Mais dès que mes mitrailleuses commencèrent à fonctionner, l’arrivée de mes balles traçantes dans le regroupement ennemi produisit un effet complet. les hommes s’égaillèrent à qui mieux mieux, les chevaux renversèrent les caissons, et j’eus le plaisir en arrivant près du sol, en redressant sec, de voir au-dessous de moi la plus belle pagaille que l’on pouvait espérer.
Au moment où je reprenais ma ligne de vol face aux positions françaises, qui se trouvaient à 3 kilomètres de là environ, pour reprendre un peu de hauteur et repartir, mon moteur subitement se mit à bafouiller. Une baisse de régime de près de cinq cent tours alla rapidement en s’accentuant et mon moteur se mit à tourner au ralenti avec des passages à vide de plus en plus fréquent. Je descendais.
J’étais à ce moment à cinquante mètres du sol et je n’avais que le temps, pour éviter al perte de vitesse et la chute, de prendre immédiatement mon terrain. A un kilomètre environ de la ferme que je venais de mitrailler, je survolais un vaste champ d’un atterrissage facile, mais tout autour de moi je voyais, à gauche, à droite, les lignes de soldats allemands, survolés et mitraillés quelques instants auparavant, avancer vers une petite crête en retrait de laquelle se trouvait la lisière du bois occupé par les troupes américaines.
Je pris donc mes dispositions pour atterrir en plein milieu des fantassins allemands. Ceux-ci crurent que j’avais reçu une des nombreuses balles qui avaient été tirées sur moi et ils cessèrent leur feu. Heureusement !
Je commençais mon atterrissage. Les quelques secondes qui se passèrent là , je n’avais plus à regarder dehors, furent pour moi toute une vie. Pendant que je manœuvrais, je cherchais à voir d’où venait la panne qui m’obligeait ainsi à atterrir au milieu de l’ennemi et, pensais-je alors, à me laisser faire prisonnier. Je pensais à mon escadrille que je n’allais plus retrouver, aux soucis qu’auraient les miens me sachant captif. Je pensais à l’attitude que j’allais avoir et à la possibilité éventuelle de détruire mon avion une fois posé. Je pensais tout à la fois, et avec une extraordinaire lucidité.
J’atterris donc et mon avion roulait au sol que je continuais encore les manœuvres, triturant la manette des gaz, vérifiant mon correcteur altimétrique, pour essayer de remettre de l’ordre dans ce qui s’était dérangé lors du piqué et que je n’avais pas encore trouvé.
A ce moment, relevant les yeux vers le ciel, mon regard tomba sur le robinet d’essence et je m’aperçus aussitôt que j’étais resté en position « nourrice » depuis le début du piqué. La nourrice, de faible contenance, devait être à peu près vide et ce qui m’arrivait était tout simplement une panne d’essence. le moteur tournait alors au ralenti avec les dernières gouttes que les carburateurs suçaient difficilement dans la nourrice.
Instantanément, je remis le robinet sur la position « réservoir principal », je tâtais doucement la manette des gaz de peur de caler. La joie de mon cœur, alors que mon avion était déjà presqu’immobilisé, alors que de toutes parts les fantassins allemands se précipitaient vers moi, l’arme à la main en rompant leur ligne de formation, je sentis le moteur reprendre ! Je remis d’un seul coup toute la sauce et, brutalement, en moins de 80 mètres, je décollais au nez et à la barbe de tous ces fantassins qui se figuraient déjà avoir fait prisonnier un « officier aviateur ». Bien entendu, tout le monde tira, déconfit de me voir partir. Inutile de dire que le nombre de balles que je reçus ... on dénombra à mon retour 27 trous dans mon fuselage et dans mes plans. Toutes balles de terre puisque je n’avais eu aucun combat aérien.
Ma joie était telle d’avoir échappé à la geôle allemande qu’ayant repris 200 mètres d’altitude, en dépit des balles que les allemands tiraient sur moi de toutes parts, je restais près de dix minutes au-dessus de l’endroit où j’avais atterri, me livrant presque inconsciemment à la plus belle séance d’acrobatie que j’aie probablement jamais faite. Loopings, tonneaux, renversements, vrilles, tout y passa et, si je n’accompagnais pas cette exhibition de quelques bonnes rafales de mitrailleuses, c’est que mes chargeurs avaient été malheureusement vidés un peu plus tôt.
J’avais éprouvé certainement là ma plus grande émotion de toute la guerre, émotion double, à la fois pénible au moment où je me suis vu fait prisonnier dans des conditions stupides, et formidablement joyeuse à m’en faire éclater le cœur lorsque j’ai pu, de façon aussi inattendue, repartir alors que mes roues s’étaient déjà posées sur le sol ennemi.
Dernière modification par philouplaine (18-12-2017 13:26:31)
ouaf ouaf ! bon toutou !!
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Merci du partage. Le coup de la panne, mais dans un contexte différent
Ce qui m'a toujours intrigué c'est comment dans leur avion pouvaient ils voir devant eux?
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Cher Magnum346
... oui oui : le "coup de la panne" ...
avec dans la rĂ´le du mari jaloux, les "fantassins" germaniques...
J'en ai plusieurs de ces articles, tirés des numéros de L'AERO de 1933 ... certains sont signés par de grands as.
Le prochain que je vais poster ici sera signé par René Fonck, Monsieur Fonck, l'as aux 75 victoires homologuées.
Tu introduis le parachute dans ta signature, ça tombe bien René Fonck en parle dans son article!
Merci de ton commentaire,
Philippe
ouaf ouaf ! bon toutou !!
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Va voler avec Rise of Flight je t'assure que ça vaut le coup. Bientôt une nouvelle version, mi 2018.
@philouplaine : Merci pour ce récit.
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